Une fois les bagages terminés, tout le monde se réunit dans la cour. Liana attendait près du carrosse rempli de toutes ses malles. Certaines avaient été accrochées à l'arrière, et d'autres sur le toit tant elles étaient nombreuses.
Son père la regardait en se mordant les lèvres. Liana ne se sentait pas proche de cet homme qui lui était inconnu mais sa tristesse la touchait au plus profond de son être. Elle aurait aimé le prendre dans ses bras pour lui dire adieu mais craignait de déroger à l'étiquette qu'elle ignorait. Comme pour confirmer ses pensées, il ne s'approcha pas d'elle et se contenta de lui dire d'un ton neutre :
« J'espère que tu seras heureuse là-bas. »
Sa voix se brisa lorsqu'il prononça ces quelques mots, puis il se détourna rapidement et repartit vers la demeure, ses pas crissant sur le gravier de la cour. Liana se sentit encore plus seule.
« Il est l'heure de partir, mademoiselle. »
Liana se tourna vers le cocher qui venait de lui adresser la parole et acquiesça d'un signe de tête. Elle accepta la main gantée qu'il lui tendit et monta à l'intérieur du carrosse. La cabine était étroite, et elle eut du mal à s'installer avec sa robe ample et son grand chapeau. Elle jeta un dernier regard dans la cour, où tous les domestiques inclinèrent la tête en signe d'adieu, puis le carrosse démarra et elle quitta la propriété. Son cœur était gonflé de tristesse.
Elle dénoua le cordon sous son menton et retira son chapeau, qu'elle posa sur ses genoux. Elle était triste de ne pas avoir pu saluer tout le monde correctement, mais elle se doutait que c'était par pudeur que son père s'était détourné ainsi après lui avoir prononcé quelques mots. Elle avait bien remarqué les larmes qui brillaient dans ses yeux.
Le trajet en carrosse dura toute la journée. La cabine n'était pas confortable, les cahots de la route fatiguaient Liana et le banc trop dur lui faisait mal au dos, malgré le velours qui le recouvrait. De plus, le bruit des sabots et des roues sur le sol inégal lui donnaient mal à la tête. Cependant, elle profita de cet instant de solitude loin des regards pour réfléchir à sa situation.
Elle avait immédiatement réalisé où elle se trouvait. Pour une raison inconnue, le décor autour d'elle ressemblait trait pour trait au tout premier roman qu'elle avait écrit : Le Royaume de Zéphyr. C'était la première histoire qu'elle avait inventée, inspirée de ses innombrables lectures romanesques. Néanmoins, elle n'en avait jamais écrit la fin.
Etrangement, elle avait retrouvé au palais la plupart des personnages qu'elle avait inventés, notamment le père et le mystérieux prince, qui était le héros principal. Mais pour une raison inconnue, c'était elle qui avait pris la place de l'héroïne. Elle ne parvenait pas à comprendre comment cette situation avait pu se produire. Elle était persuadée que tout cela n'était qu'un mauvais rêve, et qu'elle allait se réveiller d'un instant à l'autre.
Elle tenta tant bien que mal de se remémorer les passages de ce livre qu'elle avait écrit des années plus tôt, alors qu'elle avait à peine quinze ans. Elle ne put s'empêcher de sourire en repensant aux personnages qu'elle avait construits et au manque de finesse de son histoire, qui n'était en somme qu'une romance subtile entre les deux personnages principaux, l'héroïne et le prince James.
Elle avait créé un personnage froid pour répondre aux attentes de ses lecteurs, qui aimaient alors les héros beaux et taciturnes. Elle s'était même inspirée de Monsieur Darcy, un des personnages de Jane Austen dans son roman Orgueils et Préjugés, mais elle avait tellement forcé sur le côté froid du personnage qu'il en était devenu imbuvable et avait perdu sa popularité auprès des lecteurs. Pour satisfaire son public, Liana avait finalement rompu les fiançailles entre les deux personnages puis avait mariée son héroïne au frère du prince, Alan. S'en était suivi un inévitable triangle amoureux, qui avait ruiné les relations entre les deux frères. Elle avait abandonné son histoire à partir de ce moment-là, en panne d'inspiration.
Un frisson d'angoisse la saisit soudain. En prenant la place de l'héroïne, elle allait revivre les mêmes événements. Pour éviter la guerre entre les deux frères, la seule solution était d'accepter le mariage avec James. Elle trouverait forcément un moyen de rentrer chez elle, mais elle devait absolument faire tout son possible pour s'entendre avec son fiancé et éviter les tensions le temps qu'elle parvienne à repartir.
Néanmoins, lorsqu'elle arriva devant l'imposante demeure qui allait désormais être la sienne et qu'elle vit le regard noir que lui jetait son futur époux depuis le perron, elle sut que la tâche s'annonçait impossible.
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Pour quelques mots de plus
Fantasy"Nous deux, ce n'était pas écrit..." Après un nouvel échec lors d'un concours d'écriture, Liana, folle de rage, brise le stylo avec lequel elle a écrit son roman. Mais ce geste irréfléchi a de lourdes conséquences : elle se retrouve emportée à l'int...