La sélection - Hennessy

Chapitre 32 : Pupuce, bal et vote

-  « On s'arrête ici ! »

Je saute de cheval et étire mes muscles endoloris. C'est notre dernier jour sous la tente : demain, nous arriverons à Istorel, la plus grande ville d'Askorn et le lieu de résidence de son chef de région. Je dois dire que j'ai plutôt hâte car bien que cela soit synonyme pour moi de discours enflammé face à une personnalité importante, cela me permettra de me reposer un peu. Mes liens avec Altaïr se renforcent de jour en jour, mais le prix à payer pour moi est d'utiliser presque constamment mon pouvoir pour communiquer avec lui, et c'est complètement épuisant. Cela dit, je m'en sors mieux que les premiers jours, où j'aurais presque pu m'endormir pendant le trajet si la monte à cru ne m'avait pas fait si mal. Heureusement, c'était aussi insupportable pour Altaïr que pour moi, donc il a fini par accepter de porter un tapis de selle.

- « Allez Nessy, arrête de lambiner ! Viens m'aider à monter la tente au lieu de regarder dans le vide. »

Je rejoins Paul-Émile et attrape les piquets centraux de la tente.

- « Tu sais ce qu'on mange ce soir ? »

- « Rien d'incroyable. Dola est allée voir si elle peut trouver des girolles, mais sinon je crois qu'on est bons pour des lentilles... Encore... »

- « Avec un peu de chance, on se trouvera une bonne auberge une fois arrivés à Istorel. J'espère en tout cas. J'ai besoin de sucre. »

- « Crois-moi, je ne m'arrêterai pas avant qu'on ait trouvé quelque chose de décent ! » Paul finit d'installer le double-toit de la tente et je vois Chiara passer une tête à l'intérieur avec les sacs de couchage.

- « À mon avis, n'importe quoi nous paraîtra décent après ce calvaire. Non pas que Dola soit une mauvaise cuisinière, mais elle a une certaine tendance à voir la nourriture plus comme une fonction vitale que comme un vrai plaisir... »

Je marque une pause, étonnée et contente d'entendre la demoiselle s'exprimer un peu.

- « Oui, d'une manière générale elle ne s'intéresse pas à ce qui ne lui semble pas important. » Pauvre Patrick...

- « C'est vrai, d'ailleurs je me demande par quel miracle elle nous considère encore ! »

- « Moi aussi, mon petit Paul, moi aussi... » Je me retourne si vite que je manque de faire tomber la tente. La vieille est rentrée de sa cueillette et nous toise d'un air faussement énervé. « Puisque ma cuisine n'a pas l'air de vous convenir, vous n'aurez qu'à faire le dîner tous les trois. »

Nous nous regardons pendant que la vieille quitte la tente aussi vite qu'elle n'est arrivée.

- « Quelqu'un connait le temps de cuisson des lentilles ? »

Quelques dizaines de minutes plus tard, nous nous retrouvons dans une petite clairière autour du feu à attendre que l'eau de notre marmite bout. La couleur du ciel m'indique qu'il ne devrait pas tarder à faire nuit. Le silence commence à me peser et j'ai l'impression que je ne pourrai compter sur aucun des deux zouaves pour entamer la conversation. Il faut tout faire soi-même, ici...

- « Bon... Je propose un exercice de style absolument passionnant pour tuer le temps, ça vous va ? »

- « C'est pas comme si on avait quoi que ce soit de mieux à faire de toute façon, alors pourquoi pas. »

- « Très bien. Chiara, si tu devais nous donner le meilleur souvenir que tu as de ce voyage, lequel ce serait ? »

- « Moi ? Je ne sais pas trop. Le moment de quitter Dervenn était assez émouvant, parce que j'ai quand même passé presque toute ma vie là-bas, mais ce n'était sans doute pas le meilleur moment. Je dirais le départ de Kondolenn au lever du soleil... Ça m'a rappelé beaucoup de souvenirs... »