Cela fait maintenant cinquante-quatre minutes et vingt-huit secondes... Et je commence à trouver le temps long.
Presque une heure que j'écoute Eunice inventer des scénarios, depuis celui où elle épouse son prince charmant et file le parfait amour avec leurs sept bambins (J'ai bien essayé de lui faire comprendre que ce n'est pas toujours un cadeau. Elle est fille unique et a toujours rêvé d'avoir des frères et sœurs, et comme ça n'est jamais arrivé, elle veut pleins d'enfants... ) à celui où le conseiller du roi envoie des soldats l'assassiner parce qu'il estime qu'elle ne mérite pas de vivre. Oui, elle est définitivement devenue folle. J'ai tenté de lui expliquer qu'il était peu probable qu'il prenne ce genre de décision à partir d'un formulaire, et qu'on ne tuait pas les gens comme ça, mais elle ne veut rien entendre.
Donc je me contente de l'écouter gémir, en ce moment sur ses multiples défauts.
- « Je n'ai aucune chance d'être priiiiiiise ! Je suis moche ! J'ai un bouton sur le nez, mes cheveux sont gras, mes joues toutes pâles, j'ai la forêt amazonienne à la place des sourcils, mes yeux sont banals, et... »
Ça y est, j'ai arrêté d'écouter. D'autant qu'il n'y a rien de plus faux. Elle a de longs cheveux d'or, qui cascadent dans son dos, et si mes yeux ont la couleur du ciel les soirs d'orage, les siens me font penser à la lune. Ils sont en effet d'un beau gris mis en valeur par sa peau pâle. C'est vrai qu'elle n'est pas immense, elle doit faire environ un mètre soixante-cinq, comme moi, mais elle est plutôt bien foutue. Enfin, je laisse à Paul-Émile le soin de se faire ce genre de réflexions.
- « Hennessy ? Tu m'écoutes ?! » Oups... Prise sur le fait.
- « Oui oui... T'en étais où ? T'as passé l'étape de : "je suis une grosse merde" ou t'y es encore ? »
- « Ah bah super... En plus, tu te moques de moi ! Je suis vraiment malaimééééééééée. »
Puis elle se tourne vers moi et pointe son index dans ma direction.
- « Toi aussi ça devrait t'inquiéter ! » Continue-t-elle. « Après tout, on est dans le même bateau ! Mais c'est vrai que toi t'es beeeelle , alors que moi, je suis hideuse ! »
- « Arrête tes chleuasmes, tu sais très bien que c'est totalement faux. Et puis c'est de ta faute si je me retrouve dans ce plan foireux » , rétorqué-je en la pointant de mon index à mon tour. « Je n'avais aucunement l'intention de participer à la base, donc ça ne changera pas ma vie si je me fais recaler. »
- « Tu plaisantes ?! Dois-je te rappeler que je n'étais, il n'y a pas si longtemps, pas la seule à fantasmer sur notre cher et estimé prince ? Tu as participé quand j'ai soudoyé le messager pour obtenir une photo de lui si mes souvenirs sont bons ! » Quel lourd passif je traîne derrière moi dans le domaine du marché noir...
- « De un, je ne l'ai pas fait pour que tu t'en serves contre moi maintenant, mais seulement pour te faire plaisir. Et de deux, c'est un fantasme justement, et je compte bien faire en sorte qu'il en reste un ! »
Quel mensonge éhonté ! Et Eunice le sait très bien, tout comme elle connaît mon amour-propre, ou ce qu'il en reste.
- « Bon, bon, si tu le dis... Je garde le prince pour moi ! On aura plein d'enfants, et j'accepte que tu sois la marraine, comme compensation. On aura aussi un chien, Médor, trois chats, quoique je crois qu'il est allergique... C'est pas grave, on aura des cochons d'Inde à la place ! Tout bien réfléchi, c'est trop ennuyeux un cochon d'Inde... J'ai trouvé : des chevaux ! Ou des ânes ? Et peut-être quelques vaches... »
Et elle est repartie... Pourquoi pas un poulailler tant qu'elle y est ! C'est sûr, des vaches à la cour, très distingué... Mais mis à part ses questions existentielles sur ses futurs animaux avec son futur et hypothétique mari, je dois bien admettre qu'elle a marqué un point. La sélection ne me laisse pas tout à fait aussi indifférente que je le laisse paraître.
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La sélection - Hennessy
ParanormalNous sommes en l'an 2246. Il y a maintenant un peu plus de deux siècles, une nouvelle guerre a éclaté entre les grandes puissances de ce monde. La troisième Guerre Mondiale, aussi chimique que nucléaire. Elle a réduit notre belle planète à un champ...