Chapitre 21 : Instinct de survie, achillée millefeuille et un chevreuil

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Son grondement me glace le sang et je me retrouve incapable d'esquisser le moindre geste. La mère recule sa patte arrière, ses griffes raclent la terre, y laissant cinq sillons. Je peux très nettement voir ses muscles contractés sous ses poils, elle est prête à bondir au moindre de mes mouvements. Son petit pousse un cri aigu, comme pour demander qu'elle m'épargne, ce qui me sort de ma torpeur. Réveillée et de nouveau maîtresse de mes mouvements, je détale aussitôt tel un petit lapin de garenne. Et il faut bien dire que je tape mon meilleur sprint ! J'aurais battu Alek à plate couture, s'il avait été avec moi. Mais je n'ai pas le temps de savourer cette réflexion qu'un rugissement retentit derrière moi, trop proche. Beaucoup trop proche. La mère me talonne de près, et elle gagne du terrain sur moi à chaque seconde.

Sans réfléchir, je m'agrippe au premier arbre sur ma gauche et grimpe le plus vite possible. Mais mes mains semblent glisser contre le tronc recouvert de mousse, et mes pieds peinent à trouver des prises sur l'écorce. Je suis beaucoup trop lente, mes gestes paniqués sont bien trop maladroits, et mon souffle irrégulier ne m'aide pas. Je monte sans me retourner, de peur de voir mon poursuivant sur mes talons. À vrai dire, je n'en ai pas besoin. Ses grognements répétés de plus en plus forts me rappellent que je dois accélérer de toute urgence.

Je m'apprête à me hisser sur les premières branches, quand je ressens une douleur lancinante sur mon mollet. J'ai été trop lente... Et je sens ma chair se déchirer sous ses griffes. Je me hisse dans un dernier élan d'adrénaline à une branche hors de portée, et je m'y agrippe fermement avec un gémissement de douleur. J'enserre la branche de mes jambes et plaque mon dos contre le tronc. Debout sur ses deux pattes arrières, elle gratte frénétiquement l'arbre, arrachant des morceaux d'écorce à chaque nouveau coup de griffes. Je sens la douleur pulser dans mon mollet. D'ici, elle ne peut heureusement pas m'atteindre, mais elle reste au pied de l'arbre à me toiser des ses yeux sombres, attendant la moindre erreur de ma part. Je ne peux pas continuer à la fixer, le contact visuel que j'essaie d'établir pour utiliser mon don semble l'énerver d'autant plus. J'essaye de calmer ma respiration sifflante, histoire de retrouver mon calme et un minimum de jugeote. Je me redresse une nouvelle fois et ramène à moi ma jambe blessée, m'aidant de l'autre pour ne pas tomber. Je suis bien partie pour rester bloquée ici un bon bout de temps, et les entailles commencent à me lancer de plus en plus sérieusement. Elles ne sont pas très profondes, ses griffes ont à peine entamé le muscle, mais il faut tout de même que j'arrête le saignement rapidement.

Je sors le couteau de mon sac, et découpe grossièrement une bande de tissu dans mon T-shirt, avant de l'appliquer sur la plaie. Je fais ainsi un pansement sommaire tout en priant pour que maman ours se décide à aller voir ailleurs. De type retrouver son ourson. Parce que si je suis bien sûre d'une chose, c'est que je ne suis pas le prédateur le plus dangereux de cette forêt, et loin de là !

Comme s'il avait entendu ma prière silencieuse, le petit se manifeste enfin par un petit cri rauque et plaintif. Sa mère retombe lourdement sur ses quatre pattes, et regarde tour à tour dans nos directions, visiblement peu désireuse de m'abandonner si facilement. Elle finit pourtant par le faire, et je lui fais un sourire crispé en agitant nerveusement ma main dans un au revoir.

- « Sache que même si je suis un peu vexée que tu me préfères ton ourson, je ne t'en veux pas. Mon petit cœur déchiré apprendra à vivre avec cette blessure. »

Bon, je fais la maligne, mais j'attends quand même une bonne demi-heure avant de me décider à descendre. Mes quatres membres auraient été opérationnels, je me serais taillée quelques secondes après son départ, mais dans l'état actuel des choses, je préfère prendre des précautions.

Je descends difficilement de mon perchoir, et me traîne le plus vite possible parmi les fagacées, tous mes sens à l'affût. Je suis à la merci de n'importe quelle bestiole de plus de soixante centimètres, et je n'aime pas trop ce sentiment. Il faut impérativement que je trouve de l'achillée millefeuille. Après un rapide examen de mes connaissances en botanique, tout à l'heure, lorsque j'étais encore en sécurité dans mon arbre, j'ai conclu que c'est la seule plante que je connaisse qui puisse m'aider à cicatriser plus rapidement, et que j'ai vu par ici. Mais comme par hasard, alors que j'en ai croisé des dizaines de fois au cours de mon périple, l'espèce a soudain disparu du paysage ! On ne va quand même pas me faire croire que ma poisse est suffisamment puissante pour éradiquer tous les exemplaires d'une plante dans un périmètre indéterminé ?! Si c'est le cas, il va sérieusement falloir que je lui trouve un nom et qu'on essaye de communiquer, parce que dans le cas contraire, on va crever toutes les deux !

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