Correspondances

123 6 6
                                    

Ma Chambre, Lundi 1er juin 2246

Très chère Eunice,

Je ne te demanderai pas comment tu vas, puisqu'apparemment, tout se passe bien pour toi. Enfin de ton point de vue, parce que pour les autres, comme ces pauvres Brieuc et Barnabé, ça ne doit pas être de tout repos de t'avoir dans les parages. Surtout pour le premier, s'il ne trouve pas chaussure à son pied. Il n'a pourtant pas l'air si désespéré que ça, entouré de demoiselles qui le vénèrent comme un dieu toute la journée.

J'ai lu avec attention ta lettre, et je dois admettre que ce bal était épique. Je comprends mieux pourquoi tu ne m'as pas détaillé les plats, cette fois, tu avais autre chose en tête... Et j'avoue que je suis impressionnée par les talents de dissimulation du palais. On n'y a vu que du feu ! Ce qui me rend sceptique par rapport à cette émission, mais bon...

Je suis un peu triste pour ce pauvre lustre, je suis curieuse de savoir à quoi il ressemblait avant d'essayer, dans une ultime mission kamikaze, de commettre un régicide. Enfin presque...

Quant à l'arrosage automatique... Disons que l'été arrive, il faut bien se rafraîchir un peu le corps et les idées. Surtout les idées, pour certains...

Tu m'as écrit avoir beaucoup changé, et bien figure-toi que moi aussi, et pas qu'un peu, j'en ai peur. Enfin pas au point de lâcher ma meilleure pote, mais bon, on n'a pas tous les mêmes valeurs. Je ne te parle pas beaucoup de moi, mais mine de rien, j'ai des journées bien remplies. Sans doute moins que les tiennes, cela va de soi, tu fais plus ou moins partie de "l'élite" après tout, mais tu serais étonnée de ce que nous autres, pauvres paysans, pouvons encore faire d'intéressant. Je n'ai pas l'impression que tu en aies quelque chose à faire, mais tu sais ce qu'on dit, l'espoir fait vivre.

Je t'écris cette lettre un peu après la deuxième élimination. Je suis ravie de savoir que tu as accepté ton sort avec le sourire, et que ton séjour au palais t'as plu à ce point. Mais je t'en supplie, ne reste pas là-bas ! Je sais que c'est tentant, et que tu n'as pas envie que ce rêve éveillé s'arrête si vite, mais je ne le sens pas. Enfin merde quoi, on te manque si peu que ça ?! Tu es devenue mondaine, tu t'es habituée à la bouffe raffinée ? Qu'est-ce qui te retient ?! On n'est plus assez bien pour toi ? Je ne te comprends plus !

Excuse-moi, je m'emporte... Mais c'est juste que je m'inquiète pour toi. Parce que... Il faut que je te dise quelque chose. Tu ne me croiras probablement pas, tu te diras que je suis devenue complètement folle, et je n'ai aucun moyen de te prouver que ce que je dis est juste, mis à part que je ne suis pas sûre d'avoir assez d'imagination pour inventer tout ça. Bon, je crois que j'ai déjà assez tourné autour du pot, alors voilà : j'ai appris, il y a maintenant deux mois, qu'il existe des êtres humains qui ont muté. Ils n'ont pas acquis des branchies, un troisième bras ou le contrôle des éléments, rassure-toi, mais des sortes de capacités un peu particulières. Ils sont divisés en quatre classes, les augmentés, les érudits, les protecteurs et les dépendants (je te passe les détails), et ils ont, entre autres, selon leur pouvoir, des sens surdéveloppés, des griffes rétractables, le don de communiquer avec certains êtres vivants, ce genre de choses. Et... La vraie révélation, dans tout ça, c'est que tout comme Paul, moi et une majorité (si ce n'est l'intégralité) du village, tu as probablement toi aussi certains de ces dons.

Je sais que ça paraît complètement fou, et je n'y ai pas cru non plus au début, mais c'est la stricte vérité. Le meilleur moyen de savoir si tu en es une ou pas, c'est de regarder si tu as un tatouage qui est arrivé sur toi comme par magie. Si c'est le cas, il faut vite que tu rentres, parce que c'est la preuve que tu es ce qu'on appelle une "surnaturelle". Si certaines personnes l'apprennent, ou que tu n'arrives pas à te contrôler correctement, ça peut avoir des conséquences terribles... Si tu n'en as pas... Regarde mieux et rentre quand même, c'est plus sûr. Je suis désolée de t'avoir caché ça si longtemps, mais je n'avais pas le choix. Je l'ai appris le jour de l'annonce des sélectionnées, et j'ai décidé qu'il valait mieux ne rien te dire à ce moment-là, puisque je suis persuadée que tu serais partie dans tous les cas. Il était hors de question de te laisser t'en aller avec ce gros fardeau à cacher. Mais en agissant ainsi, j'ai conscience que j'aurais pu te mettre en danger. J'espère seulement qu'il n'est pas déjà trop tard. J'aurais préféré te le dire en face, mais puisque tu n'es pas pressée de revenir... Tu ne dois parler de cette lettre à personne, d'ailleurs. C'est trop dangereux.

La sélection - HennessyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant