Chapitre 6 : Destin et nostalgie

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- « Pour la région de Kolleton, Eunice ROUAULT. »

La photo de mon amie apparaît. Le sourire qu'elle y affiche est vrai. Le mien lorsque je la regarde hurler de joie et me prendre dans ses bras est tout l'inverse. Je voudrais tant partager son bonheur, sautiller avec elle, me réjouir, mais je n'y arrive pas. J'ai mal. J'avais enfin réussi à me faire croire que je valais quelque chose, je m'étais décidée à me prendre en main, à m'ouvrir au monde. Quand on saute dans le vide en pensant pouvoir voler, le moins qu'on puisse dire, c'est que l'atterrissage est douloureux.

La jalousie m'étrangle, me paralyse. Les larmes me montent aux yeux. Je ne me comprends plus moi-même. Pensais-je vraiment que j'étais un des personnages des romans que j'affectionne tant ? À l'évidence, oui. Non seulement, je ne découvrirai pas ce monde qui me fascine à présent, mais en plus, je lui abandonne ma meilleure amie, qui est à mille lieues de se douter du cataclysme qu'elle provoque autour d'elle.

Je me tourne vers Paul-Émile. Il fixe le représentant royal d'un œil absent. Je lui prends doucement la main. Au moins il sera là, je n'affronterai pas le futur morne qui m'attend seule. Il ne réagit pas tout de suite, mais au bout d'un moment, il me presse la main en retour.

J'aperçois Kimberley un peu plus loin, en pleurs. J'ai presque de la peine pour elle. Presque...

Plus personne n'écoute le représentant royal, les habitants forment un cercle autour de nous, autour d'Eunice. Ils lui prennent les mains, la félicitent. Nous sommes rapidement poussés hors du groupe. Le fossé est déjà en train de se creuser, ma meilleure amie s'éloigne déjà de moi. J'ai froid. Je me sens vide, je ne saisis pas ma réaction. J'ai l'impression d'être oppressée par cette place que je connais depuis ma naissance, par les gens qui s'agitent autour de moi. Je suis dans un brouillard épais, ma vue est brouillée par un liquide qui dévale à présent mes joues, un goût de sel envahit ma bouche.

Sans plus réfléchir, je m'abandonne à mon instinct. Je cours, le bruit de mes pas se répercute dans les rues pavées. Je ne fais attention à rien, seulement cette impression de solitude qui s'étend dans ma poitrine.


J'arrive essoufflée devant ma maison. Je rentre, avale les escaliers et me précipite dans ma chambre, avant de claquer la porte derrière moi. À ce moment-là, je m'effondre sur mon lit. Je me recroqueville sur moi-même en position fœtale, et me laisse aller à mes larmes. Je ne veux plus penser, je me sens étrangère à moi-même, à cette réaction imprévisible qui me prend. Et doucement, tout doucement, je tombe dans les bras de Morphée, qui m'offrent un répit bienvenu.

Je suis réveillée par des coups contre ma porte. J'ouvre avec difficulté mes yeux rouges et gonflés et ôte ma tête de mon oreiller trempé.

- « Je ne veux voir personne ! » Dis-je d'une voix cassée avant de renifler un bon coup.

- « Ma chérie, c'est moi. » Répond ma mère en ouvrant la porte. Je suis tellement étonnée que je la laisse entrer sans rien dire. Elle me tend un mouchoir avec un sourire compatissant. Je me mouche sans aucune grâce, et elle m'ouvre ses bras. « Viens là. »

Je me blottis contre elle, à la fois heureuse et surprise de son initiative. J'ai l'impression d'être redevenue une petite fille, et mon dieu que ça fait du bien de temps en temps ! Mes pleurs reprennent aussitôt.

Je me laisse aller, ma mère se contente de me caresser les cheveux. Le temps passe et mes sanglots cessent peu à peu.

- « Je pensais vraiment avoir une chance, mais... Il faut croire que je m'étais complètement... Que... J'avais enfin réussi à me convaincre de ma valeur, maigre, mais tout de même, que je pouvais changer les choses. Alors pourquoi ? Pourquoi ils ne m'ont pas choisie ? Parce que je n'étais pas sûre de vouloir participer au départ ?! Parce que je ne suis pas assez jolie ? Mais ça n'a aucune importance ! », m'emporté-je en me relevant. Je me sens tellement pathétique. « Je me suis prise pour quelqu'un d'autre. » Soufflé-je en baissant la tête, contemplant mes mains. « Je ne suis que moi après tout... Je suis loin d'être une de ces princesses de conte de fée... Et dire que ma meilleure amie réalise son rêve et je ne suis même pas foutue de la féliciter. Mais qu'est-ce qui cloche chez moi ?! Qu'est-ce que j'espérais ? » Je laisse le silence s'installer. Je le sais pertinemment, j'attendais beaucoup de cette sélection.

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