4. Matilda

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Je ne suis plus amoureuse de Clark Winslow. Je ne ressens plus rien pour Clark Winslow. Mon crush pour Clark Winslow est fini depuis longtemps. Clark Winslow et moi ne... 

— Mati, tu m'écoutes ?

La voix d'Effie m'arrache à ma session d'auto-conviction et je reporte toute mon attention sur l'immense feuille pleine de petits carrés de papier qui se tient sous mes yeux. Mais rapidement mon esprit dérive de nouveau vers le garçon, l'homme, car c'est un homme à présent qui a fait battre mon cœur si fort pendant si longtemps. Une époque qui est définitivement révolue n'est-ce pas ? Si c'était le cas, tu n'aurais pas ressenti ce que tu as ressenti quand il t'a enlacée, me souffle mon traitre de cerveau. Ce bref contact a éveillé en moi des sensations que je croyais éteintes depuis longtemps. Et qui doivent le rester. Ce que Clark a dit, ou plutôt ce qu'il n'a pas dit, il a quatre ans été limpide : il n'envisage pas la possibilité de sortir avec moi un jour, jamais. J'ai fait le deuil de tout ça il y a bien longtemps, hors de question de revivre ça. Ce que j'ai ressenti tout à l'heure, ce n'est rien, ni plus ni moins d'un vieux réflexe de mon cerveau, c'est tout. Le soupir d'Effie est aussi fort qu'une rafale de mistral. 

— Désolée ! 

— Non, c'est ma faute. J'aurais dû savoir que tu aurais du mal à te concentrer. 

J'ouvre la bouche pour mentir à ma sœur, lui promettre que la présence des Winslow ne change rien, que ça n'a aucune importance, que je suis évidemment contente de les voir mais que ça ne m'a pas touchée, ébranlée, secouée de l'intérieur. Avant que j'ai à le faire, Effie, les yeux toujours rivés sur son plan de table reprend. 

—Je sais comment tu es quand tu travailles sur un nouveau livre. 

—Le livre ! Bien sur ! Je suis juste concentrée sur le prochain tome ! 

Je m'engouffre dans la porte de sortie que m'offre Effie, comme le vent dans les rideaux quand nous laissons les vitres ouvertes.  Je ne veux pas lui dire sur quoi portent vraiment mes pensées. Parce que ce n'est probablement rien. Et que ma sœur est une éternelle romantique qui se mettrait à fomenter un plan dont elle a le secret pour tenter de rapprocher ses deux personnes favorites. Ce qui est la dernière chose dont j'ai envie et besoin. D'autant qu'elle a déjà beaucoup à faire avec le mariage. Et que c'est de ça et ça seulement qu'elle devrait se préoccuper. 

— File, va écrire. 

— Mais, j'ai dit que je t'aiderai...

— Et tu es tellement distraite que tu pourrais tout aussi bien ne pas être là. File Mati, c'est bon ! Je vais m'en sortir, je te jure ! 

Je ne me le fais pas dire deux fois. Je n'ai pas totalement menti à Effie, mon esprit fourmille de mille idées de scènes et de chapitres pour le quatrième et dernier tome de ma série. 

Après cinq ans passés avec eux, il est temps de dire au revoir à Ansel et Camille. Et je ne sais pas si c'est cette perspective qui m'effraie ou le fait que j'ignore totalement comment leur histoire va se finir, mais ça fait trois mois que j'écris et efface des ébauches de débuts sans queue ni tête. Et voilà qu'ils débarquent et que mon inspiration fait son grand retour. 

Arrivée à mon étage, je marque un temps d'arrêt. Je pensais que les revoir tous, ici, serait plus simple qu'au ranch. Je suis en terrain conquis, je joue à domicile et cette maison est vierge de tout souvenir avec eux qui aurait pu raviver de quelconques sentiments indésirables. Je n'avais pas pensé qu'après leur départ ce ne serait plus le cas, qu'il me faudra dorénavant composer avec l'image de leurs carrures de géant dans mon couloir, mon refuge sous les toits. Une constatation qui génère d'étranges sensations dans mon ventre. Pour tenter d'y échapper, je pousse la porte de ma chambre, et lâche un cri de surprise en découvrant un corps immense et à moitié nu couché dans mon lit. 

— Bon sang Danny, tu m'as fichu la trouille ! Qu'est-ce que tu fous là ? 

— Je vous attendais, monsieur Bond. Viens par ici Tilda, je veux ma dose de câlin. 

Je fais mine de râler pour la forme, mais je m'allonge quand même avant de me lover dans les bras de Dante. 

— Comment tu te sens ma puce ? 

— Un peu sous l'eau, j'avoue. J'ai pris du retard dans mon planning d'écriture, tout ne se passe pas comme je voudrais avec le quatrième tome. Et je sais que plus le mariage approche, moins je vais avoir de temps pour moi, ce qui me stresse. Sans compter qu'il manque mon Winslow favori. 

Je sais bien que ce n'est pas ce que Dante attendait comme réponse. Mais je n'ai pas envie de disséquer une fois encore mes retrouvailles avec Clark. Aussi, je détourne la conversation. Et mon meilleur ami a la gentillesse de jouer le jeu.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Ton Winslow préféré est là. 

— Ah bon ? Alcott est arrivé en même temps que vous ? Moi qui croyais qu'il ne serait pas là avant la semaine prochaine. 

En effet, si Denise et ses trois plus jeunes fils sont arrivés aujourd'hui, son mari et Alcott, l'ainé de la fratrie, se joindront à nous dans quelques jours. Dante m'adresse une grimace puis enfouit son visage dans mon cou en grommelant à propos de sa fatigue et d'une vengeance terrible une fois qu'il se sera reposé. Quelques secondes plus tard, son souffle ralentit et il dort. 

Je me sens moi aussi épuisée brusquement, mais impossible de fermer les yeux. Des pensées et des sentiments parasites tourbillonnent dans ma tête. Alors en veillant à ne pas réveiller Dante, je me glisse hors du lit, puis de la chambre et retrouve mon bureau. Je m'installe àma table de travail, ouvre mon ordinateur et me mets à écrire. Alors qu'Ansel et Camille se retrouvent, sous mes doigts, après plusieurs années sans se voir, mes sensations confuses s'ordonnent peu à peu. 

Je ne suis plus amoureuse de Clark Winslow. Je ne ressens plus rien pour Clark Winslow. Mon crush pour Clark Winslow est fini depuis longtemps. Alors pourquoi mon cœur bat-il aussi vite ?

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant