17. Clark

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Béatrice me plait. Bien sûr qu'elle me plait. Et je ne suis pas le seul si j'en crois la bave qui coule presque sur le menton de Dante chaque fois qu'il la regarde. Dans mon dictionnaire interne, elle est clairement ce qui se rapproche le plus de la définition même de la féminité : brillante, grande, voluptueuse, confiante en sa beauté et son charme, drôle. Je devrais n'avoir d'yeux que pour elle, déployer mon meilleur charme pour tenter de la séduire. Sauf que je n'arrive pas à me concentrer entièrement sur elle. Mes yeux sont sans arrêt attirés par Matilda, assise à côté de Dante qui lui susurre à l'oreille je-ne-sais-quoi qui l'amuse. Un étrange pincement de jalousie me mord le ventre. Aujourd'hui c'est moi qui l'ai fait rire et sourire comme ça. Mais ce soir, j'ai l'impression qu'elle est distante à nouveau. Je cherche à capter son regard, et ses yeux accrochent brièvement les miens, mais aussitôt, elle les détourne pour parler à Beckett. Visiblement, j'ai fait quelque chose qui l'a contrariée de nouveau, mais impossible de savoir quoi.

— Expliquez-moi encore votre lien de parenté toutes les trois. Je croyais que tu étais fille unique, tante Adrienne.
— Je le suis. Béatrice est ma nièce par alliance.
— Mon père et le père biologique d'Effie étaient frères.
— Trix est la cousine d'Effie en fait, elle me la prête juste de temps en temps.

La malice dans la voix de Matilda n'atteindra pas ses yeux et j'ai envie de l'attirer à l'écart pour lui demander ce qui ne va pas.

— Tu racontes des bêtises. Tu sais très bien que tu es autant ma cousine que ta sœur.
— Ce n'est pas ce que tu disais au début. Quand on était enfants, Béatrice me détestait.
— Il me semble que c'était plutôt réciproque.
— Tu essayais de me voler ma sœur et tu ne voulais jamais que je joue avec vous.
— Et moi, je me retrouvais au milieu ! Merci bien ! intervient Effie. Il a fallu que j'arrête de leur adresser la parole à toutes les deux pour qu'elles réalisent que les liens familiaux n'ont pas toujours de rapport avec les liens du sang.
— Quelle médiatrice incroyable, tu fais bébé, surtout, je penserai à faire appelle à toi si j'ai un litige à régler au boulot.

Pendant qu'Effie et J-E se chamaillent, Dante fait à nouveau rire Matilda, ce qui m'agace plus que de raison.

— Pauvre petite Mati, toujours exclue par les grands. Personne ne voulait jamais jouer avec elle.

Je voulais la taquiner, mais si j'en crois le regard noir qu'elle m'adresse, ma blague est tombée à plat. Elle n'ouvre pas la bouche et durant un instant, je me sens particulièrement bête. Puis un sourire suave étire ses lèvres.

— Oh ne t'en fais pas Clark, j'ai bien rattrapé mon retard depuis. Ça fait longtemps que je n'ai plus aucun mal à trouver des partenaires de jeux consentants et motivés.

Je m'étrangle avec ma gorgée de vin. Est-ce qu'elle vient de sous-entendre que... Une étrange chaleur monte en moi. Mais une fois encore, Matilda m'échappe quand elle se mêle à la conversation qui a repris autour de la table. Je tente de m'y intéresser moi aussi, écoute les filles nous raconter leurs meilleurs souvenirs d'enfance, me joins à mes frères pour évoquer nos propres anecdotes, mais je n'y suis pas vraiment.

Sans arrêt mon esprit et mes yeux retournent vers elle. Je l'observe écouter les autres, présente, mais un peu en retrais, presque comme un observateur extérieur à la scène. Je cherche sur son visage cette pointe de malice et de défi qu'elle affiche depuis que nous sommes arrivés, ne la trouve pas. J'étudie aussi Effie et Béatrice tentant de trouver les ressemblances et les différences entre elles. Béatrice et Effie ont par exemple les mêmes cheveux lisses et épais bien que leurs couleurs soient très différentes. Je suppose que Matilda a hérité sa crinière incroyable de son père. Idem pour sa belle bouche identique à celle d'Adrienne, mais différente de celle de sa sœur. Il y a chez Béatrice une beauté sophistiquée, presque féline. Effie quant à elle a l'élégance classique des tableaux que Beckett adore. Mais chez Matilda, les choses sont moins évidentes.

Elle n'a pas ce qu'on appelle une beauté classique et pourtant, pour la première fois en vingt ans ou presque, je réalise à quel point elle est belle. D'une beauté imparfaite, peu conventionnelle qui nécessite qu'on la regarde vraiment pour la voir. Avec Matilda tout se mérite : voir son vrai visage, entendre son rire, recevoir l'une de ses réparties aussi cinglantes qu'hilarantes.

Je ne fais même plus l'effort de faire naviguer mes yeux entre elle et les autres, je n'observe plus qu'elle. Je détaille son profil : son adorable nez, ses longs cils bruns, sa bouche à la moue boudeuse ou au sourire en coin selon les discussions, ses boucles qui cascadent dans son dos, la courbe de son épaule, le galbe de sa poitrine. Et soudain, je réalise pourquoi je ne veux pas que Dante la fasse rire, pourquoi je n'arrive pas à détacher les yeux d'elle, pourquoi je cherche tant à attirer son attention. Je comprends pourquoi, bien que Béatrice soit aussi drôle et intéressante que belle, je n'ai pas envie de jouer à mes petits jeux habituels avec elle. Parce que sa petite cousine vient de prendre une place inattendue dans mes pensées et dans ma vie. Parce qu'alors que je croyais tous savoir de notre relation, que celle-ci ne changerait jamais, je découvre soudain que j'avais tort.

Je n'avais pas prévu que notre relation évolue autrement que celle que nous avons toujours eue, je n'avais pas prévu de découvrir Matilda si changée en arrivant ici. Et surtout, je n'avais pas prévu cette sensation qui vient de se loger dans ma poitrine et mon ventre. C'est un sentiment brulant et vibrant que je ne pensais jamais expérimenter en pensant à Matilda Vinicio Fiona, un sentiment que je croyais tout simplement banni entre nous : du désir.

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant