12. Matilda

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« Aujourd'hui, je pourrais combiner les deux », « Tu ne veux pas que je te drague Mati ? », « Aujourd'hui, je pourrais combiner les deux », « Tu ne veux pas que je te drague Mati ? »

Maudit soit mon cerveau. Maudit soit mon corps. Maudit soit mon cœur. Et maudit soit Clark Winslow de prononcer sans s'en rendre compte des phrases qui me chamboulent totalement et ravivent des sensations que je pensais éteintes depuis longtemps. Non Matilda, non ! C'est vraiment une très mauvaise idée. D'autant que je sais très bien que ça ne veut rien dire. Clark est en mode charmeur par défaut, une des choses les plus séduisantes, mais également les plus agaçantes chez lui.

Je devrais vraiment essayer de penser à autre chose avant que mon cerveau ne réactive ma vieille habitude de me faire des films. Avoir des sentiments pour Clark Winslow est exactement comme une addiction quelconque, plus difficile de rester sobre quand l'objet de tentation est sous votre nez. Et à ça s'ajoute un autre problème : je ne peux pas repousser trop loin les idées qui éclatent dans ma tête façon pop-corn au micro-ondes parce qu'elles nourrissent mon imaginaire. Et si je suis honnête, je n'avais pas été aussi inspirée depuis longtemps.

Les éclats de rire autour de la table me ramènent au présent et je tente de me concentrer sur la conversation. Ce soir J-E est parmi nous et les garçons ont décidé de se lancer dans un grand déballage de souvenirs et d'anecdotes. Si j'en crois le sourire malicieux que m'adresse Dante, la dernière était clairement sur moi.

— À votre place, j'éviterais de provoquer Mati. Sa mémoire est redoutable, me défend J-E, qui rit presque autant que les autres.
— Merci J-E, ta crainte de ma supériorité évidente t'immunise contre toutes représailles. En revanche, vous pouvez commencer à trembler, bande de traitres.

Je les fixe tous un par un, les yeux plissés, faisant mine de réfléchir à qui sera ma première victime.

— Alors Mati, on se dégonfle ?
— Puisque tu sembles si pressé de m'entendre parler, je pourrais peut-être raconter la fois où je t'ai surpris en train de discuter avec David, qu'est-ce que tu en penses Becks ?

Beckett m'adresse un regard d'avertissement.

— Tu n'oserais pas.
— Je vais me gêner. Quand ils avaient une douzaine d'années, Beckett a découvert qu'il partageait son surnom avec le seul, l'unique David Beckham. Il s'est mis à développer une véritable obsession pour le mari de Posh au point de se mettre au soccer et de recouvrir sa chambre de poster. Et un jour où je me promenais dans la maison...
— Espionnais ! Un jour où tu espionnais comme la sale gosse que tu es.
— Je suis tombée sur Beckett en grande conversation sur ses rêves et ses espoirs, avec un poster de David !
— Mais quelle petite peste ! Tu me fais regretter de ne pas avoir gardé toutes les vidéos que j'avais de toi en train de danser comme un leprechaun sous cocaïne.
— En parlant de vidéo. J'ai entendu parler d'un rituel de salutation à la lune très alcoolisé et très dévêtu dont la vidéo est encore disponible quelque part.
— On était bourrés ! Et comment es-tu au courant d'abord ? C'était entre Clark, Effie et moi et on a juré de ne jamais en parler à personne.
— Aller Becks ! Tu pensais vraiment qu'Effie garderait ça pour elle. Je suis sa sœur, elle me raconte tout.
— Tu l'as dit à Mati ? Tu nous as fait jurer je ne sais combien de fois de n'en parler à personne et tu l'as dit à ta sœur ! s'offusque Clark.
— Ce vin est délicieux, non ? tente Effie.
— Et Tilda me l'a dit à moi ! renchérit Dante.
— Matilda ! s'exclame ma sœur.
— Dante est mon meilleur ami : ce que je sais, il le sait.
— Et ouais les gars ! Ma meilleure pote à une mémoire diabolique et connait tous vos moments les moins glorieux.
— Tu ne devrais pas trop la ramener. Si tu crois que j'ai oublié ta traîtrise de cet après-midi, tu te fourres le doigt dans l'œil, mon grand. Voyons voir, quels moments gênants de ta vie vais-je partager avec le groupe. Il y en a tellement, le choix est difficile.

Dante tente de me pincer la hanche, mais j'esquive sa main et reprends :

— Quand on était à L.A le mois dernier, Dante a rencontré une fille, mais comme on partageait notre chambre, il s'est dit que faire l'amour dans le placard serait une bonne idée.
— C'était un dressing !
— Et c'était sur ma robe préférée que se trouvaient tes fesses poilues ! J'ai dû la bruler en rentrant.
— Menteuse, tu l'avais sur toi avant-hier. Et mes fesses ne sont pas poilues !

Ses protestations sont noyées sous le rire des autres qui réclament des détails. Pour détourner l'attention de lui, mon meilleur ami contre-attaque.

— Clark n'est pas en reste non plus. Tu veux qu'on parle du nombre de fois où je t'ai découvert nu dans des endroits improbables et en bonne compagnie ?

L'évocation du corps nu de Clark réveille les pensées classées X qui affluent dans mon esprit depuis cet après-midi. Et sans surprise, une idée de scène entre Ansel et Camille se forme petit à petit dans ma tête et mes doigts me démangent de l'écrire.

— Mati, on descend à la piscine faire une partie de cartes, tu viens ? me demande Effie.
— Je prends deux notes pour ma session de demain et je vous rejoins.

J'attends que la terrasse soit totalement vide et une fois que je suis sûr d'être seule, j'ouvre l'application note de mon téléphone et me mets à taper frénétiquement. Une fois encore, je peste contre mes doigts qui ne fonctionnent pas aussi vite que mon cerveau. Je dois me dépêcher à la fois pour ne pas perdre le fil de mes idées, mais aussi parce que si je mets trop de temps à les rejoindre, l'un d'entre eux viendra surement me chercher. Je n'ai pas honte du genre dans lequel j'écris, mais certaines scènes dont les passages érotiques nécessitent que je me mette dans l'ambiance. Ce qui peut s'avérer difficile quand on est entouré de gens.

La scène est très claire dans ma tête, mais plus compliquée à décrire. Aussi, comme toujours, je fais appel à mon corps pour trouver les mots justes. Je me lève, m'adosse à la pergola, imagine un autre corps plus grand et plus fort plaqué contre moi, une jambe entre les miennes pour les écarter. Je lève les bras au- dessus de ma tête comme si une main les retenait ainsi, puis penche la tête sur côté et convoque la sensation d'une bouche couvrant ma gorge de baiser. Un instant, je ferme les yeux pour mieux ressentir le bois dans mon dos, l'odeur de la vigne vierge et la brise chaude d'un soir d'été sur ma peau. J'entends presque à mon oreille les mots que je compte faire chuchoter Ansel. Ça va être génial, plus qu'à le noter et...

— Sans indiscrétion... qu'est-ce que tu fais ?

Je garde les paupières closes un instant de plus. Je prends le temps de reprendre une position normale. J'essaye de la jouer cool, comme si j'étais tous les jours surprise dans des positions improbables comme celle-ci par le type sur lequel j'ai fantasmé toute mon adolescente. Car évidemment, quand je finis par rouvrir les yeux, c'est pour découvrir Clark, surement revenu me chercher, qui me fixe, son infernal sourire en coin aux lèvres.

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant