8. Matilda

10 3 1
                                    

J'ai passé une grande partie de la nuit à écrire. D'habitude, je suis plutôt une autrice du petit matin, mais hier soir au moment de me coucher, j'ai été prise d'une pulsion soudaine d'inspiration. Une idée en entraînant une autre, le jour était sur le point de se lever quand j'ai regagné mon lit. Autant dire que j'ail 'impression d'avoir dormi une minute à peine quand la porte de ma chambre s'ouvre soudain et qu'une voix retentit, beaucoup trop forte et enjouée. 

— Bonjour sorcière ! Le soleil brille, il est temps de te lever. 

D'abord Dante et maintenant Clark, il va falloir que je songe à installer un verrou sur la porte. À l'aveuglette, j'attrape un coussin et le jette dans sa direction. Du moins c'est l'intention, difficile de dire où il se trouve dans la pièce ou si mon projectile a atteint sa cible sans ouvrir les yeux. Le poids qui fait soudain s'affaisser mon matelas me laisse à penser que j'ai raté mon tir. Et je suis tellement fatiguée que je n'arrive même pas à être perturbée par le fait que Clark est sur mon lit, avec moi. 

— Mati, il faut que tu te lèves. Effie est en pénurie de raphia et de papier Canson. On est missionnés pour en acheter avant que l'incident se transforme en drame. 

— Vas-y tout seul ! On n'a pas besoin d'être deux pour acheter de la ficelle et des feuilles, je râle en le repoussant. 

Évidemment, il ne bouge pas d'un centimètre. Au contraire, il saisit ma main dans la sienne et tire dessus pour me forcer à m'asseoir. Je grogne de mécontentement, les yeux toujours fermés. Tant que je ne les ouvre pas, je ne suis pas vraiment réveillée, je peux donc espérer qu'il s'en aille et me laisse tranquille. 

— Je te sers de chauffeur et tu me sers de guide, ordre de la mariée. 

Mon corps est lourd de fatigue, mes yeux bouffis par le sommeil, je ne veux rien plus que de dormir encore un peu. Mais j'ai promis à Effie de l'aider à préparer son mariage, de lui simplifier la vie au maximum. Et la chaleur qu'il fait dans la pièce ainsi que la lumière que je devine sous mes paupières closes me laisse à penser que la matinée est déjà bien avancée. Alors dans un nouveau grognement, je repousse le drap et me traine jusqu'à la salle de bain. 

— Charmant ce bruit que tu fais au réveil ! 

Sans me retourner, je lève mon majeur dans sa direction puis claque la porte de la salle de bain derrière moi. Son rire me parvient quand même à travers le battant puis sa voix quand il lance : 

— Je t'attends en bas ! 

Malgré une douche plus froide que tiède et un brossage de dents, je suis toujours autant dans les choux quand je le rejoins sur le parking quelques minutes plus tard. Vêtu d'un tee-shirt blanc qui fait ressortir le bronzage et les muscles de ses bras, il a l'air d'un mannequin. 

— Oh sorcière, tu n'as pas l'air réveillée du tout. Tu es sûre que tu vas réussir à me guider ? 

— Je peux aussi bien retourner me coucher et te laisser tenter ta chance avec le GPS. 

Mon ton mordant lui donne envie de rire, je le vois à la façon dont il se mord la joue pour se retenir. 

— Je vais miser sur toi. D'ailleurs, on ferait mieux d'y aller. Ta sœur a déjà rallongé la liste d'au moins cinq taches supplémentaires et chaque second augmente le risque qu'elle vienne avec une nouvelle demande. 

Nous nous installons sur nos sièges respectifs. 

— Je ne suis pas spécialiste, mais il me semble que cette voiture ne se démarre pas par la pensée. 

— Et je ne suis pas spécialiste, mais il me semble qu'il te manque quelque chose. Ceinture, jeune fille ! 

Oh mon Dieu ! J'avais presque oublié à quel point Clark est psychorigide en ce qui concerne la sécurité routière. 

— Voilà ! On peut y aller maintenant. 

— Non. 

— Comment ça non !? Qu'est-ce qu'il te faut de plus, que j'enfile un casque ? Rassure-toi, tu ne conduis pas si mal que ça, et la rumeur selon laquelle les Français sont des fous du volant n'est qu'à moitié fondée. 

— Je ne conduis pas avec une telle charge d'énergie négative sur le siège passager. 

— C'est moi que tu traites d'énergie négative ? 

— Oui, mais je connais la phrase magique pour te redonner le sourire. 

— Retourne finir ta nuit, je vais me débrouiller seul ? 

— Ce que tu es grognon quand tu ne dors pas assez ! Je pensais plus à la phrase que tu veux m'entendre dire depuis des années. 

Mon cerveau a un court-circuit. Un instant, je me demande si je ne suis pas en train de rêver toute cette scène, totalement influencé par les chapitres sur lesquels j'ai travaillé cette nuit. Parce que la seule phrase que j'aurais voulue entendre Clark prononcer c'est... 

— Tu peux choisir la musique ! 

Mon cœur rate un battement. Évidemment, la musique ! Dès que les garçons Winslow ont été en âge de conduire, ils sont devenus les chauffeurs attitrés de nos virées estivales. Et assez  rapidement, des règles ont été instaurées, comme celle concernant le fait que seul le passager de devant pouvait choisir la musique. Autant vous dire qu'en ma qualité de petite dernière de la bande, je ne suis pas souvent montée sur le siège passager. 

— Oh mon Dieu ! C'est trop d'honneur ! Je crois que je vais pleurer. 

— Je savais que ça te ferait plaisir. Et maintenant sorcière, prête pour l'aventure ? 

Mon petit cœur déjà malmené par l'ascenseur émotionnel qu'il a subi s'emballe de nouveau. Difficile d'oublier à quel point j'ai aimé ce garçon quand il prononce des phrases qui me rappellent justement pourquoi je l'ai aimé. 

Une des choses que je préfère chez Clark, c'est que pour lui chaque instant de vie est une aventure. Faire les courses ? Une aventure. Une balade à cheval de six heures ? Une aventure. Aller chercher une glace ? Une aventure. Et ce que j'adorais également, c'était sa capacité à toujours vous rallier à sa cause.« Prête pour l'aventure ? », à une époque, il suffisait qu'il prononce cette phrase pour que je le suive jusqu'au bout du monde s'il avait voulu. Pour me donner une contenance, je connecte mon portable à l'autoradio et sélectionne une playlist. 

— Prête ! 

Les premières notes de Love Story de Taylor Swift résonnent dans l'habitacle alors que nous quittons le parking. Vitres grandes ouvertes, je savoure le vent sur mon visage en chantant à pleins poumons. 

Je chante très mal, depuis toujours, mais avec passion et ferveur pour le plus grand bonheur des oreilles à proximité. Pourtant, alors que je m'attendais à essuyer une salve de moqueries, Clark ne dit rien. Et quand je tourne la tête pourvoir si du sang ne s'écoule pas de ses oreilles, je le découvre qui m'observe d'un drôle d'air. 

— Quoi ? 

— Tu es étonnante. 

Encore une fois, mon petit cœur s'emballe et mon cerveau commence tout de suite à analyser ses trois mots, leurs sens cachés, l'intonation de Clark, l'expression de son visage. Pour couper court à mes pensées parasites, je rétorque : 

— Et tu ferais mieux de regarder la route si tu ne veux pas qu'on finisse dans un platane. On se concentre sur la conduite jeune homme. 

— Je pourrais peut-être me concentrer sur la route si tu ne miaulais pas comme un chat qu'on égorge. 

Pour me venger, je me mets à chanter encore plus fort et encore plus faux, ce qui lui arrache un éclat de rire. 

And said, Marry me, Juliet You'll never have to be alone... Oh merde... Tourne à gauche ! 

— Quand ? 

— Maintenant ! 

Dans un réflexe de film d'action, Clark braque et nous évite de manquer l'embranchement que nous devons prendre. 

— Tu es la pire copilote du monde. Plus de musique pour toi si tu es plus concentrée sur le chant que sur les directions à prendre. 

Par défi, je monte encore un peu le volume, la musique couvrant le bruit désordonné de mes pensées.

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant