18. Matilda

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Je n'ai jamais été jalouse d'Effie. Assez jeune, j'ai compris qu'elle était belle et que moi, j'étais drôle. C'est ce que les gens disaient en nous voyant. « Mon Dieu ce que tu es belle ma petite. Et toi... tu es vraiment... un sacré numéro ». Ça n'avait aucune importance pour moi. Parce très tôt, j'ai compris que la beauté pouvait être un fardeau. Effie avait beau être drôle, brillante, spirituelle, cultivée et passionnée, la seule chose dont les gens lui parlaient, c'était son physique. Elle n'avait pas le droit d'être autre chose que belle quand je pouvais être ce que je voulais. Je n'ai donc jamais été jalouse d'Effie. Ni de Béatrice d'ailleurs, ni de la facilité déconcertante avec laquelle elles évoluaient société. Pourtant, ce soir, pour la première fois de ma vie, je ressens la brulure de la jalousie me mordre l'estomac.

J'ai passé la fin d'après-midi enfermée dans la chambre de ma sœur avec Effie et Béatrice à rattraper le temps perdu. Puis je l'ai regardée rencontrer les garçons et les deux pans de mes étés se sont brusquement télescopés, à la façon d'un crossover entre Twilight et Harry Potter dont je ne pensais pas avoir envie.

Et tout du long, je n'ai pu penser qu'à une chose : Béatrice lui plait, elle lui plait comme jamais je ne lui ai plue, comme jamais je ne lui plairai. Il la regarde comme jamais il ne me regardera, comme une femme, adulte et désirable. Et même si je sais que Béatrice ne sortira jamais avec lui parce qu'elle sait les sentiments que j'ai pour lui, le fait qu'il l'a désir, elle et pas moi, toujours pas moi, jamais moi, me déchire la poitrine.

La journée avait pourtant bien commencé et un instant, j'ai cru que... Peu importe ce que j'ai cru parce que, comme toujours, j'ai eu tort. Espèce d'idiote trop romantique ! Voilà ce qui se passe quand on passe plus de temps dans la fiction que dans la réalité : on oublie souvent que la seconde est bien moins belle que la première.

Le repas touche à sa fin, heureusement. Je ne sais pas combien de temps encore j'aurais réussi à prétendre que regarder Clark draguer ma cousine ne me tue pas de l'intérieur. Mes yeux me brulent des larmes que j'ai de plus en plus de mal à contenir. Aussi, quand la table est débarrassée et que ma sœur propose une nouvelle soirée à jouer aux cartes au bord de la piscine, je saisis l'occasion de me sauver.

— Je vais aller me coucher, je suis KO.
— C'est tout ce sucre que tu as ingurgité qui t'a épuisée ? Je t'avais dit que six glaces, c'était trop.

Sa voix, ses taquineries, tout me torture et menace un peu plus mon self-control. J'arrive malgré tout à donner le change une nouvelle fois.

— C'est ta compagnie qui m'épuise surtout. Il me faut au moins huit heures de sommeil pour espérer te supporter. Bonne nuit tout le monde !

Chœur de bonne nuit et de bisou lancé dans les airs, alors que les autres se dirigent déjà vers la piscine. Pas Clark, qui m'écrase dans un câlin douloureusement tendre et sans ambiguïté.

— Dors bien sorcière, tu dois être en forme demain.

Mes mains me démangent de m'accrocher à lui de toutes mes forces et de laisser cours au chagrin qu'il a provoqué sans même s'en rendre compte. Mais je me retiens. À la place, je le laisse me tenir contre lui encore quelques secondes puis déposer un baiser sur mon front. Je parviens même à lui souhaiter bonne nuit sans que ma voix tremble. Peut-être ai-je raté ma vocation, une carrière d'actrice semble me tendre les bras.

Il s'en va enfin. Je peux donc quitter la terrasse et monter rejoindre mon étage. Allez Matilda, encore quelques marches, plus que quelques pas et tu seras à l'abri dans le secret de ta chambre. Là, tu pourras enfin te laisser aller. Retiens-toi encore quelques secondes.

Mais mes yeux débordent déjà. Ce qui explique que je ne vois pas tout de suite Beckett et que je manque lui rentrer dedans de plein fouet quand il descend l'escalier, un pull à la main. Mon cerveau tourne à plein régime, cherchant une justification plausible à mes larmes. Être suffisamment idiote pour avoir refait la même erreur est une chose, que tout le monde le sache en est une autre. Avant que je n'aie trouvé une excuse valable, Beckett lance :

— Pas besoin. Je sais. Je l'ai vu regarder Béatrice ce soir.

Il n'en faut pas plus pour faire céder ma dernière barrière. J'éclate en sanglots. Et Beckett, sûrement le moins tactile des frères Winslow referme immédiatement ses bras autour de moi et me berce doucement.

— Ne pleure pas ma puce. Ça ne vaut pas la peine que tu te mettes dans un état pareil.
— Tu ne devrais pas me consoler, je ne suis qu'une idiote incapable de savoir ce qui est bon pour elle.
— Ce n'est pas aussi simple que ça de contrôler ses sentiments Mati chérie. Crois-moi, je sais de quoi je parle.
— Comment ça ?
— Rien d'important. Et c'est valable aussi pour Clark et Béatrice. Tu sais comment il est, il ne peut pas s'empêcher de séduire, de charmer. Ça lui passera, ça passe toujours.
— Ça passera, mais il ne sera pas amoureux de moi pour autant.
— Mati...
— Ne dis rien. Je ne lui en veux même pas. Je n'ai pas à lui en vouloir. On n'en veut pas à quelqu'un de ne pas éprouver les mêmes sentiments que vous.

Beckett ne dit rien pendant un instant et quand je lève la tête vers lui, je le découvre qui fixe un point loin, très loin devant lui, comme perdu dans ses pensées. Sentant mon regard sur lui, il baisse la tête vers moi et attrape mon menton entre ses doigts pour me faire lever la tête, puis il essuie doucement les larmes qui roulent sur mes joues.

— Tu veux que je reste un peu avec toi, ma puce ?
— Non, c'est gentil. Je vais juste aller me coucher, je crois.
— Tu es sûre ? Je peux t'envoyer Danny ? Ou Ef' ?
— Non, surtout pas ! C'est déjà suffisamment ridicule que tu sois témoin de tout ça, pas la peine que la terre entière soit au courant. Je vais dormir, ça ira mieux demain.

Beckett me scrute encore un instant, de ses yeux si semblables à ceux de son frère que c'en est presque douloureux de soutenir son regard. Puis tout comme son jumeau quelques minutes plus tôt, il dépose un baiser sur mon front.

— Bonne nuit ma puce, essaye de te reposer d'accord ? Demain c'est ton grand jour.
— Promis. Merci Becks.

Il m'adresse un petit sourire triste. Et juste au moment de disparaître dans l'escalier, il se tourne à nouveau vers moi.

— Aimer, ça n'est jamais ridicule Matilda, jamais.

Et sur cette ultime affirmation, le voilà parti. Cette fois-ci, je parviens à attendre d'avoir fermé la porte de ma chambre et d'être roulée en boule dans mon lit pour me remettre à pleurer. Je sanglote en silence, comme j'ai appris à le faire il y a tant d'années déjà, l'été où Clark nous a présenté sa première copine. Je sanglote sur mes illusions, mes faux espoirs et ma naïveté. Je sanglote sur mon cœur qui me fait à nouveau si mal, sur cette douleur que je croyais ne plus jamais ressentir. Je sanglote jusqu'à ce que l'oreiller soit trempé et que le sommeil m'emporte.

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant