10. Matilda

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Après avoir pris conscience de mes sentiments pour Clark quand j'étais enfant, j'ai passé presque six étés à les cacher et à ne jamais laisser mon trouble transparaître sur mon visage. Eh bien, je suis heureuse de vous apprendre que prétendre qu'un certain garçon n'a pas le pouvoir de vous retourner le cerveau et le cœur, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas.

Cependant, je mentirais si je disais que la matinée n'a pas été éprouvante pour mes nerfs. Entre l'ascenseur émotionnel de la voiture et ce câlin qui a rendu mon corps électrique, j'ai déjà du mal à faire le tri dans mes sentiments.

Mais la palme revient à l'expression de Clark quand j'ai osé poser la question dont j'attends la réponse depuis cinq ans. Le rictus de gêne pure que j'ai lue sur son visage quand je lui ai demandé son avis sur mes livres a été un rappel douloureux de la réalité. Clark n'éprouve pas ce genre de sentiment pour moi.

C'est ce qui rend l'écriture de ce tome quatre si compliquée, je crois. Ansel et Camille arrivent au bout de leurs aventures et bientôt, il me faudra décider comment tout se termine pour eux. Paradoxalement, même si Clark m'a inspiré le premier opus de la série, le numéro deux et le numéro trois ont été les plus faciles à écrire, surement parce qu'ils relevaient purement et simplement de la fiction. Et ce dernier volet pourrait être exactement pareil, une œuvre purement fictionnelle. Sauf que la réalité et la fiction sont à nouveau alignées et que je n'arrive pas à les détacher suffisamment pour la première n'influence pas la seconde.

Je crois que mon problème vient surtout de la symbolique que je donne à ce livre. Mettre fin à cette histoire, c'est également mettre fin définitivement à mon fantasme pour Clark, ce que je pensais avoir fait il y a des années déjà. Mais il semblerait que non et que la perspective de faire vivre à mes personnages une fin qui n'arrivera pas dans la réalité soit plus compliquée à gérer que prévu.

- Tu es bien silencieuse.

La voix de Clark me tire de ma contemplation du paysage. Nous sommes sur le chemin du retour et je n'ai effectivement pas prononcé un mot depuis que nous sommes montés dans la voiture.

- Ma voix de cantatrice te manque déjà ?

Mentir, prétendre que tout va bien, jouer un rôle... je devrais arrêter, mais je ne sais faire que ça.

- Mes tympans ne sont pas encore remis de l'affront musical qu'ils ont subi tout à l'heure, donc non. Mais je voulais être sûr que tout aille bien. Tu avais l'air... triste.

Clark est doué pour se faire aimer des gens. C'est certainement la personne la plus sociable que je connaisse. Plus sociable qu'Effie encore, si tant est que ce soit possible. Pourtant, je sais aussi que s'il est capable de vous donner l'impression que vous êtes l'être le plus important de sa vie, il n'y a en réalité qu'un très petit groupe de personnes dont les émotions lui importent vraiment. Ce n'est pas de la manipulation, c'est plus une sorte de talent pour faire se sentir les gens alaise, s'adapter à leur besoin sans jamais s'impliquer trop émotionnellement.

Le rappel que je fais partie des privilégiés, de ceux qu'il observe vraiment et dont il tient vraiment compte me bouleverse et me terrifie en même temps. Bouleverse, parce que j'ai beau prétendre le contraire, je ne suis pas indifférente à l'attention de Clark. Terrifie parce que je sens que je ne maitrise pas mes émotions aussi bien que d'habitude et que si jamais je ne me reprends pas très vite, je pourrais rapidement être démasqué. Or une conversation gênante à propos de mes sentiments non réciproques, c'est vraiment la dernière chose dont j'ai envie. Aussi, je botte en touche.

- Je ne suis pas triste, je suis en train de m'autodigérer tellement j'ai faim.
- Bon sang Mati, tu as mangé un croissant il y a trente minutes.
- Bon OK, j'avoue, ça n'a peut-être pas totalement à voir avec la nourriture. J'étais en train de songer à mon livre. L'écriture ne se passe pas aussi bien que je le voudrais.

Boys in books are betterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant