Maintenant que Quatre est disponible je me sens anxieux et j'ai oublié tout mon argumentaire. Je me mets à douter de lui avouer ce qui se passe avec Mya. Il y a un risque pour qu'il en parle autour de lui. Il ne me dois rien. Pire, il pourrait en faire part aux Supérieurs. Je ne sais pas si il est digne de confiance. Je ne l'ai jamais côtoyé. Nous avons déjà eu une mission lui et moi, mais l'affaire c'était déroulée sans accroc et nous n'avions pas réellement pris le temps de discuter. Et le fait qu'il soit proche de Quarante n'arrange pas mes affaires.
Treize me pousse dans le dos me faisant trébucher. Je ne connais que très peu Quatre et si je voulais faire une bonne impression c'est loupé. Je ne suis pas sur que voir un accompagnateur en pleine perte d'équilibre parce que un autre le pousse sans ménagement en chuchotant un "Mais va lui parler, bon sang !" pas du tout discret, soit du plus engageant.
— Salut Quatre ! je lance après avoir retrouvé mon équilibre.
Pourris. Je ne pouvais pas trouver plus nul comme approche. Et je ne suis pas le seul à penser ça si j'en crois le ricanement de Treize dans mon dos, et le fait que Quatre ait levé les yeux au ciel. Inutile de tourner autour du pot.
— Quatre, je voudrai discuter de quelque chose avec toi, si tu as le temps bien sur.
Il hausse un sourcil, mais ne me repousse pas. D'après ce que je sais de lui, c'est plutôt une force tranquille. Et ça se voit. Il est grand, les épaules larges. Il porte une chemise blanche légèrement ouverte, avec un pantalon noir. Classique mais efficace. Il a une montre au poignet, arrêtée depuis le moment de sa mort. Ses cheveux sont courts, coupé au millimètre. C'était un homme avec de l'assurance, sans aucun doute, et c'est un accompagnateur avec un charisme indéniable.
Il m'observe approcher de lui, de ses yeux chocolat en amandes. Il a les pommettes saillantes et ses lèvres sont fines. Il garde ses mains dans les poches et ne semble pas vouloir esquisser un pas vers moi. C'est moi qui demande son attention, c'est à moi de me déplacer. Le message est clair. Je n'ai jamais été quelqu'un d'impressionnable, et pourtant sous son regard je me sens tout petit.
Je sais qu'il est accompagnateur depuis plus longtemps que moi ou Treize, mais je ne sais pas depuis quand exactement. Il est une sorte de mentor dans notre dimension. Les accompagnateurs et accompagnatrices aiment prendre conseil à ses côtés. Lorsque nous arrivons au Bureau à notre mort, et que nous choisissons cette voie, on nous lance dans notre nouvelle vie sans aide, sans professeur, juste un petit dépliant expliquant les étapes de manière très succincte. La plupart du temps les nouveaux accompagnateurs font des erreurs, ne savent pas comment s'y prendre. Quatre est une référence pour les nouveaux arrivants. Il est connu pour être patient et ses conseils sont toujours limpides. J'hésite longuement et cherche mes mots. Quatre ne me presse pas un seul instant.
— Je ne veux pas te déranger longtemps mais... J'ai entendu parler d'un accompagnateur qui aurait vécu une chose plutôt singulière avec une vivante et qui ne serai plus des nôtres pour en discuter. Es tu au courant ?
Une lueur passe dans son regard et ses épaules se raidissent. Son silence me met mal à l'aise. J'ai l'impression d'avoir fait une erreur. Il m'observe. J'ai l'impression qu'il me sonde et je peine à ne pas me tortiller sur place d'inconfort.
Après ce qu'il me semble être une éternité, il me fait signe de nous écarter des commères du Bureau. Il est fort probable que certains d'entre eux fassent des rapports aux Supérieurs sur nos agissements. Je n'ai jamais eu de problème, mais je n'ai jamais donnée l'occasion d'en créer avant aujourd'hui non plus.
— Qui t'en a parlé ? commence-t-il.
Son ton est dur. Il s'est rapproché de moi et parle doucement. Mais son regard et sa posture ne trompe pas, il est en colère. Je ne sais pas si sa colère est pour moi ou pour avoir déterré cette histoire. Elle semble l'affecter.
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Il est temps.
FantasyMonotonie, ennui et lassitude. Voilà ce qui rythme sa vie. Bien qu'il ne soit pas vraiment... en vie. Vingt-cinq, un accompagnateur, est l'un des milliers a transporter les âmes après leur trépas. Son travail l'occupe mais il n'en tire ni gloire, ni...