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MYA

Bordel.

Je vois mon père. Mon père, que je n'ai que très peu connu, a passé chaque jour de la semaine avec moi. C'est à la fois étrange et fabuleux. Je suis comme face à un inconnu, mais en même temps c'est une évidence d'être en sa présence. C'est fou. Je suis folle. Et je suis dans un état constant d'euphorie et de rage. Euphorique d'avoir retrouvé mon père, en rage contre Vingt-cinq !

 Il est encore parti sans me dire s'il allait revenir ou non. Plusieurs jours déjà que je n'ai pas aperçu son air maussade, que je ne lui ai pas parlé. Plusieurs jours que je l'ai pas serré dans mes bras, et cela me manque déjà, bien que je ne l'ai fais qu'une fois. Mon coeur le réclame comme si je le prenais dans mes bras depuis des années et qu'on m'en empêchait du jour au lendemain. Il me manque. Je profite en revanche de ce que j'ai manqué depuis tant d'années, mon père. Il est mort à un âge où on ne devrait pas perdre un parent, et j'ai la chance aujourd'hui de rattraper une partie du temps perdu.

Je me rends compte que mes souvenirs d'enfance n'ont pas été biaisés par l'esprit d'un enfant en deuil. Mon père est réellement drôle, à l'écoute, et farfelu. Il me pose plein de questions sur ma vie, sur mes goûts. Il prend le temps d'enregistrer tout ce que je lui dis. Il m'a accompagné dans mes endroits préférés et à mon travail. Il a passé une journée complète à m'attendre dans l'entrée du bar, sans que je ne puisse lui adresser la parole. Il me regarde comme un père fier de l'enfant qu'il a engendré. Cela me réchauffe le coeur et me fait retomber dans l'enfance qui m'a tant manqué.

Je ne pensais pas revoir mon père un jour. Depuis que je vois Vingt-cinq, il ne m'est jamais venu à l'esprit que mon père pouvait être accompagnateur et que je pouvais prendre contact avec lui. Une fois le choc passé, j'ai décidé de saisir à pleine main cette seconde chance.

Mais je ne peux parler de tout cela à personne. Ma meilleure amie est de nouveau aux abonnées absentes. De toute façon, que pourrai je bien lui dire ? Je vois des gens qui sont morts. Très original. Et la seule personne avec qui je pourrai en parler, et avec qui j'ai envie d'en parler, ne daigne pas pointer le bout de son nez.

Je suis actuellement au bar et Bill ne cesse de me lancer des coups d'oeil inquiets. Après une énième oeillade je ne tiens plus.

— Quoi ?

Mon ton est hargneux. Il ne le mérite pas, mais il m'agace. Bill hausse ses épais sourcils et détourne la tête sans me répondre. Penaude, je le rejoins derrière le bar, délaissant les tables de la salle que je nettoyais avant l'approche du service du soir. Sur la scène, un groupe de 3 musiciens installe leurs instruments pour la soirée.

Bill a été une ancre pour moi quand je dérivais sans savoir où aller. Il a su voir ma détresse et il m'a tendu la main sans se poser de question. Je n'ai pas à le repousser comme je le fais. C'est un homme bon et généreux. Si la mort m'a enlevé mon père, la vie m'a apporté Bill.

— Pardon Bill, je m'excuse platement.

— Je vois bien que tu es tendue Mya, et je ne te demanderai pas pourquoi, si tu veux en discuter tu sais que je suis là. Mais n'oublie pas que je ne supporte pas qu'on me parle mal, premièrement. De plus, je suis encore ton patron, n'est ce pas ?

Bill aime l'ordre, le respect, et nous fâcher sans hausser la voix, ce qui est, à mon humble avis, bien pire que les hurlements. Mais il a raison. Je m'excuse une nouvelle fois, mon humeur ne justifie pas le fait que je lui manque de respect. Il est mon patron avant d'être mon ami. Cela a toujours été clair entre nous. Le boulot, c'est le boulot.

Je retourne au nettoyage de la salle quand la porte s'ouvre. Bill et moi lançons un « bonjour » habituel lorsqu'un client passe la porte. Je n'ai pas le temps de détailler la personne qui vient de rentrer qu'un éclair blond passe dans mon champ de vision et finit par se planter devant moi.

Il est temps.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant