Les vêpres avaient sonné. Felix se concentrait sur ses mouvements mais regardait parfois vers l'entrée. Son impatience grandissait à chaque seconde et refusait de se laisser noyer dans l'indifférence. Il n'aimait en effet guère attendre et avait plusieurs fois rejoué le duel en esprit.
La journée s'était déroulée sans trop d'accrocs. Dimitri paraissait enfin déterminé à assurer son rôle. Quel soulagement ! Felix ne savait pas encore combien de temps il aurait pu supporter la charogne qu'était devenu leur meneur. Leur première campagne militaire avait brutalement tranché leur lien. Felix saignait encore de la perte de Glenn, mais l'horreur avait revêtu un nouveau visage. Il avait vu mourir le Dimitri de son enfance, remplacé par une brute assoiffée de sang et de vengeance.
Or, il croyait désormais presque retrouver son ami d'avant la chute. Le jeune homme serra les dents : il était trop tôt pour crier victoire. L'image de son père surgit et avec elle un flot d'amers regrets. Dévoué à son pays comme il l'avait été, Rodrigue se réjouirait sans doute de ne pas s'être sacrifié en vain. Dimitri était leur futur roi, il ne pouvait s'égarer de nouveau. Felix se promit de le remettre à sa place si besoin.
Ce fut alors qu'elle le rejoignit avec détachement, comme si le reste n'était que de vagues formes, un théâtre d'ombres autour d'elle. Un peu exaspéré, le jeune homme se demanda ce qu'elle dissimulait au fond. Était-elle blasée, indifférente à tout ?
— J'espère ne pas vous avoir fait attendre, nous pouvons reprendre notre duel si vous le souhaitez, le salua-t-elle.
Sa voix était comme l'eau cristalline mais froide des montagnes.
Il hocha la tête :
— Allons-y.
Il n'y eut pas de salut ou de fioritures car l'on ne s'en embarrassait pas sur le champ de bataille. Les lames s'exprimèrent de nouveau et rien n'exista à part leur confrontation.
Coups, parades, ruses, esquives... le ballet se prolongea tandis que le jour déclinait.
*
Hors d'haleine, gorge incendiée, Felix s'appuya contre le mur. L'emblème l'avait aidé à saisir la victoire. C'était un triomphe sans feu, une coupe fade. La lame de son adversaire avait plusieurs fois frôlé ses points faibles. Elle avait réfléchi et appris de leur précédente rencontre. L'épéiste avait rêvé de prendre le dessus par le seul mérite de ses capacités, de la technique qu'il avait passé tant de temps à aiguiser. Sa bénédiction lui offrait un redoutable avantage, mais seul un fat ou un fainéant se serait uniquement reposé dessus. Sa fortune le déserterait tôt ou tard et Felix se devait d'être capable de gagner sans elle.
De son côté, Vigdis isolait chaque échange, réfléchissait à la manière dont elle aurait pu les retourner en sa faveur. C'était la première fois qu'elle affrontait un adversaire doté d'un emblème. Si l'on ôtait ce facteur, sa performance n'avait pas été mauvaise. Par chance, il ne s'agissait que d'un entraînement. Elle devait saisir cette opportunité pour rebondir. C'était en s'adaptant, en changeant toujours, qu'elle parviendrait à survivre. Son ancien métier lui avait appris à travailler dur, à viser la perfection jusque dans les détails. Tout n'était que partie remise, une affaire de persévérance. Ainsi, elle ne ferait plus jamais défaut à qui que ce soit.
Elle trouverait comment faire la prochaine fois et espérait qu'il y en aurait une. Affronter de nouvelles personnes était essentiel lorsque l'on arpentait la voie de l'épée.
Trop fourbus pour reprendre la lutte, un accord tacite s'établit entre eux. Vigdis ignorait cependant comment combler ce vide.
À sa grande surprise, ce fut lui qui rompit le silence :
— Vous vous débrouillez bien, qui vous a entraînée ?
Ces pieds lestes, ces poignets vifs, ces gestes aboutis, ce mélange éclectique mais cohérent de techniques venaient forcément de l'enseignement d'un talentueux professeur particulier. Sans doute était-elle issue d'une famille militaire et avait ainsi bénéficié de toute l'attention nécessaire au développement de son talent.
Elle riva ses prunelles azurées aux siennes. Son regard était impérieux comme une lame. Il se contraignit à ne pas battre en retraite. Les encouragements patients et chaleureux de son père lui revinrent : « Felix, n'aie pas peur de regarder les autres dans les yeux ». Il se crispa en retour. Un tel contact se révélait trop direct, intime, le ramenait à sa vulnérabilité, à sa sensibilité autrefois à vif. C'était donner aux autres trop de pouvoir sur lui, leur offrir la clef de son âme.
Ce moment de recul, cette fuite, n'échappa pas à Vigdis. Elle reporta son attention sur ses bottes, prétendant n'avoir rien remarqué. La soldate savait combien il était parfois difficile de se sentir à l'aise avec un inconnu.
Cette réserve la surprit cependant. Sa première impression de Felix n'avait guère été positive, mais il lui dévoilait un aspect plus appréciable de sa personnalité. Loin de pérorer sur sa victoire, il reconnaissait sa valeur et abandonnait le tutoiement abrupt pour un vouvoiement plus respectueux.
Elle serra les dents, agacée. Face à un égal, elle se serait contentée d'éluder : « mon père adoptif qui était mercenaire. J'ai ensuite été garde de convois ». Les choses en restaient généralement là, cette muraille de glace dissuadait les curieux. Felix s'agacerait sans doute de ces demi-vérités et voudrait en savoir plus. Autant parler de sa propre initiative que de subir un siège. Elle rassembla ses forces et prononça le nom qui était comme une pointe de flèche logée dans sa chair.
— Maître Jaufré Auber, un temps meneur de la troupe de mercenaire des Lames-Tempêtes, ensuite directeur de la troupe de danseurs à l'épée Stella Maris, lança-t-elle.
Elle n'occulta aucune de ses facettes car son mentor avait toujours été fier des deux
— Un mercenaire devenu saltimbanque ? laissa échapper Felix qui s'attendait à tout sauf cela.
Vigdis retint une grimace exaspérée. Elle s'appuya contre le mur, l'air de dire « et alors ? ». Sa réaction ne la surprenait guère. Voilà pourquoi elle préférait le silence. Elle s'imaginait déjà les réactions de ses camarades : « quoi, la froide Vigdis a été danseuse ? Personne ne l'aurait jamais cru ! Allez, montre-nous quelque chose ! Pourquoi tu as arrêté au fait ? » et s'armait déjà en réponse. Vigdis n'aimait de plus guère parler de cette période. Elle se promit que toutes les remarques désobligeantes glisseraient sur son armure. La guerrière avait souvent entendu son professeur répondre à ce genre d'interrogations. Aussi la riposte lui vint-elle sans réfléchir.
— La danse à l'épée est souvent pratiquée par des escrimeurs. Si jamais le public compte des amateurs ou des militaires, il faut que ces derniers puissent y trouver leur compte.
Felix hocha la tête, c'était après tout logique. Sa mère avait apprécié ce genre de performances, s'il se souvenait bien. Ses craintes remuèrent maintenant que la fraîcheur de la nuit s'installait. Allons bon, ce n'était qu'un rêve stupide et elle allait le laisser tranquille maintenant.
— Une telle troupe est venue danser à Garreg Mach quand j'y étudiais. On voyait qu'il s'y connaissaient, admit-il simplement.
— C'était la mienne, répondit aussitôt Vigdis.
La réponse s'était imposée comme une évidence. Elle était allée trop loin pour revenir en arrière. Leur meneur avait tiré tant de fierté de cette réussite ! Impossible de laisser planer l'ambiguïté et de faire croire que ce succès était celui d'un autre.
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Quatre guerrières (Fire Emblem Three Houses)
Fanfic❧Une réécriture d'Azure Moon mettant en scène quatre nouvelles héroïnes aux côtés des personnages du jeu. L'ambitieuse dame Gladys a hérité des terres de son père et mène ses troupes dans la lutte contre l'Empire. Musicienne, Maeve a pris les armes...