Quatre guerrières (Fire Emblem Three Houses)

Chapitre 15 : Ombre dorée (partie 2)

La fureur gronda, embrasa ses veines. Dimitri se retint de se ruer sur son oncle. Comment osait-il salir la mémoire de Lambert ? Ce n'était pas lui à qui l'on avait présenté le corps sans tête et carbonisé de son père ! Avait-il une idée de ce que c'était que de voir la personne en qui l'on avait le plus confiance, un modèle de force et de droiture, finir ainsi ? D'être seul debout au milieu des morts qui pointaient vers vous un regard accusateur ? Pouvait-il seulement imaginer que cela faisait d'être accompagné nuit et jour par le spectre paternel, cette goule qui buvait ce qu'il lui restait d'énergie et de joie ?

Il voulut ordonner à Rufus de se taire, mais une fascination malsaine s'empara de lui. La mention de sa mère exerçait un attrait étrange, vénéneux. Cette dernière lui avait toujours paru à la fois proche et lointaine. Ses souvenirs d'elle avaient disparu dans les flammes. Elle n'était qu'une ombre à jamais inaccessible. Il avait beau retourner les ténèbres de toutes ses forces, son enfance était définitivement retournée à la poussière.

Dimitri ne connaissait que la dame idéalisée des récits de son père et la souveraine des chroniques et des chartes. Edith y était dépeinte comme une politicienne active, une force de proposition qui siégeait au conseil et participait pleinement aux politiques de son mari. Elle était également la « bonne reine » qui servait d'intercesseur auprès du roi, construisait des écoles, bibliothèques et hospices et soutenait les ordres religieux et les artistes. Ayant étudié la médecine, elle avait contracté la peste en organisant l'aide aux malades. Le Royaume l'avait amplement pleurée et une vague humaine avait afflué lors de ses funérailles.

L'envie d'en apprendre plus, de se rapprocher encore un peu d'elle, même si c'était à travers les médisances de son oncle, prit le dessus.

— Je me rappelle encore de la réaction de ma mère lorsque la tienne est entrée à son service, poursuivit Rufus malgré sa diction laborieuse. Ah ! Elle l'emmenait partout et ne tarissait pas d'éloges à son sujet. C'était qu'elle venait de reconnaître une égale, voilà tout. M'est avis qu'elle comptait sur elle pour faire tenir le règne de ton père. Un conspirateur soupçonné d'avoir comploté contre le roi qui meurt subitement après avoir pourtant réussi à s'en tirer, un officiel corrompu qui fait soudain amende honorable...je suis peut-être un idiot mais il y a des signes qui ne trompaient pas. Il n'y a qu'à voir comment les choses ont périclité après la mort d'Edith. Enfin, ce n'est pas comme si je m'en souciais, après tout, Lambert était chanceux d'avoir une telle reine pour assurer ses arrières et je n'avais aucune inimité envers elle.

Dimitri se crispa, les mots de Rufus se répercutaient douloureusement entre ses tempes. Son oncle exagérait sans doute, son père n'avait pas pu être aussi naïf. Il avait forcément dû être au courant.

Le régent se leva et tituba.

— Oui, je n'ai que de la peine pour Lambert, éclipsé par sa propre mère lors de son couronnement ! Tout le monde n'avait d'yeux que pour elle alors que c'était son heure de gloire à lui ! Quels bons auspices pour commencer son règne !

Dimitri connaissait bien cet épisode. Sichilde avait senti sa santé décliner, rongée par une maladie orpheline dont les chroniqueurs taisaient le nom. Plutôt que de s'accrocher au trône jusqu'au bout, elle avait préféré abdiquer. Cette décision lui avait permis de se libérer de la charge cérémonielle et des devoirs royaux pour se préserver et ainsi soutenir son fils à ses débuts. Son statut de monarque retiré lui octroyait de plus l'influence nécessaire pour continuer à intervenir si besoin. Le jeune homme trouvait cette décision aussi sensée qu'admirable, une preuve magistrale de la grandeur d'âme de sa grand-mère.

Lors de l'intronisation de son fils, celle-ci était apparue cheveux dénoués, sans ornements. Sichilde avait choisi une simple robe bleue doublée d'argent, agissant comme une personnification de Faerghus ou de la souveraineté. Puis, elle avait couronné Lambert et Edith avant de remettre Areadbhar et les insignes du pouvoir au nouveau souverain.