Avalar - Tome 1 - Le peuple ancien

Chapitre 24

« Il est bientôt temps pour moi de rejoindre Beletel dans le monde des esprits, et bien que cette étape ne soit en rien différente de toutes les précédentes, je ne peux m'empêcher de ressentir un sombre regret en songeant au voyage qui m'attend. J'ai dévoué mon existence à comprendre et raisonner les drahärs, mais la haine qu'ils portent à notre égard est trop profondément ancrée dans le passé que nous partageons que pour y trouver une solution.

Trop de choses nous séparent de leur société, et j'étais bien idiot de penser que nos relations auraient pu être différentes. Si seulement ils n'avaient pas tenté d'acheter nos forêts pour exploiter ses ressources du temps de nos ancêtres. Leurs maudits saphirs n'ont guère plus d'importance qu'on groseillier envahit de pucerons, mais les drahärs ne pouvaient le comprendre. Quelle preuve de stupidité ! Plus stupide encore de croire qu'ils disposaient d'une chance de pénétrer de force dans notre demeure. Nous les avons repoussés sans pitié, démontrant par ce fait qu'ils n'étaient pas le peuple le plus puissant du Premier Âge.

En fin de compte, à quoi servent les richesses matérielles si ce n'est à en posséder toujours plus sans jamais être satisfait ? Si ces créatures au visage aussi livide que les morts ne veulent pas nous écouter, alors nous n'avons aucune raison de les considérer. »

Mémoire d'Anuil Ha'taël, haut-diplomate elfe d'Isildel.

« Les elfes sont des êtres primitifs et ne disposent d'aucun talent notoire. »

Bargarok, officier drahärs de la 3e division.

La brume recouvrait entièrement les quais peu peuplés à cette heure tardive. Elle imprégnait les lieux d'une ambiance lugubre et l'on pouvait presque croire que la compagnie venait d'accoster sur des docks abandonnés. Il fallait dire que l'état déplorable du navire qu'il quittait n'aidait en rien à rendre cette scène plus joyeuse, et Saral s'en éloignait avec un pincement au cœur.

Ils suivaient tous trois le baroudeur non sans crainte en repensant aux dernières paroles de Kaz. Le capitaine n'était pas du genre à donner des avertissements à la légère, et ils auraient été stupides de ne pas les prendre. Saral repassait dans sa tête les maigres lignes qu'il avait lues sur les drahärs à la grande bibliothèque d'Astia pour se rassurer lorsque, surgi de nulle part, un inconnu apparut à quelques mètres d'eux. Il s'énerva de s'être fait surprendre de la sorte, surtout après les leçons d'Eorten, et il resserra ses muscles, attentif à la réaction de leur guide.

— C'est un passeur, avança ce dernier. Il n'y a rien à craindre.

L'individu les interpella dans un langage pour le moins étrange. Les mots qu'il prononçait ressemblaient à un mélange de sonorités rustres et saccadées, et le baroudeur lui répondit sur le même ton, s'arrêtant parfois pendant plusieurs secondes avant de reprendre la parole. Les traits du drahär se refermaient un peu plus à chaque fois que cela se produisait, mais après quelques échanges laborieux, plusieurs schlens passèrent d'une bourse à l'autre.

— Cela faisait un petit temps que je n'avais plus parlé nadrak, dévoila Eorten Valantis, mais je crois que je ne m'en suis pas trop mal sorti. Suivons-le, en espérant qu'il ne nous amène pas dans une cave servant de marché noir aux asuras.

Saral ne parvenait pas à discerner s'il s'agissait d'une blague ou non, mais l'individu au dos courbé les guidait bien vers le flanc de la montagne ce qui le rassura. Les lueurs de la cité s'élevaient si haut dans le brouillard qu'on ne pouvait voir où elles s'arrêtaient. Cela lui rappelait le festival des lumières, et son rendez-vous avec Tess... Elle devait probablement l'avoir rayé de son existence après ce qu'il lui avait fait, même s'il espérait toujours qu'il existe une infime chance qu'elle le pardonne à nouveau. Il reviendrait un jour à Astia, pour la retrouver et tout lui expliquer, mais d'abord, il devait tout comme elle régler ses problèmes, et ensuite seulement il partirait à sa recherche.