Chapitre 14 - Jeudi 15/04

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Le parc Saint Victorien. C’est vraiment un joli endroit. Il est calme, peu fréquenté, et c’est plutôt agréable. Au moins, c’est un lieu où l’on peut dessiner en paix, sans être dérangé par trente-six passants.

C’est d’ailleurs ce que je suis revenu faire. Je me suis assis au même endroit que la dernière fois, en tailleurs dans l’herbe, et je me suis mis à dessiner.

Revenir ici me permet d’avoir de nouveau le décor devant les yeux et de réaliser mon idée : un parc sans âme humaine, un peu dans un style apocalyptique, où la nature aurait repris ses droits.

J’ai d’ailleurs pu bien avancer sur mon dessin, étant donné que je suis ici depuis déjà un long moment. Si je continue sur cette lancée, je pense que je pourrais quasiment l’avoir fini d’ici ce soir.

D’un coup, je me mets à repenser à mon petit rendez vous de la veille avec Andy, et je ne peux pas m’empêcher de sourire.

C’était vraiment un moment agréable. Je n’ai pas l’habitude de sortir, enfin de sortir accompagné et non tout seul. Mais là, c’était même encore différent des rares fois où je sors avec des amis, comme Léo. Là, c’était… Différent.

On n’a pas fait grand-chose, on s’est juste balade, posé sur l’herbe pour manger, discuter, rire… Et mon dieu, son rire… Andy a un rire particulier. Enfin, c’est un rire lambda, mais quand il rit, on sent que ça vient du cœur. Et en plus son rire est communicatif et agréable à entendre.

Je sursaute en entendant mon téléphone sonner, et hausse les sourcils en voyant s’afficher le numéro du serveur. Quand on parle du loup. D’habitude, il n’y a que ma mère qui m’appelle. Même ma grand-mère ne m’appelle jamais, alors…

Je regarde mon téléphone jusqu’à ce qu’il s’arrête de sonner, et lui envoie simplement un « ? ». Je ne sais pas pourquoi il m’appelle, mais je n’ai pas vraiment le temps de discuter. Il faut que je finisse mon dessin.

Et puis si ça continue, je vais devoir le mettre en silencieux. Andy passe son temps à me harceler de vidéos qu’il trouve drôle. Lui donner mon numéro n’était en fait peut être pas une si bonne idée.

Je range mon téléphone et me remets à dessiner, en espérant toujours finir mon dessin rapidement, surtout qu’il commence à se faire tard.

- Eliott ?

Je relève la tête en entendant mon prénom, et je hausse les sourcils en voyant Andy arriver vers moi en me faisant un petit coucou. Je lui réponds moi aussi par un signe de main, en lui souriant.

- Qu’est-ce que tu fais là ?, je lui demande.

- J’ai fini ma journée, et comme tu n’es pas venu au café, je suis passé voir si tu étais là.

- Oui, je suis venu dessiner.

Andy me sourit et se penche sur mon dessin, avant se hocher doucement la tête de haut en bas.

- C’est super beau. T’as vraiment du talent.

- Tu le répètes souvent, je lui fais remarquer.

- C’est parce que tu me donnes l’occasion de le répéter. C’est ta faute, t’as qu’à pas dessiner aussi bien !

Je ne peux pas m’empêcher de sourire, alors je lui tire la langue, ce qui le fait rire. Il passe une de ses mains dans ses cheveux pour arranger quelques mèches rebelles, avant de se poser dans l’herbe à côté de moi.

- C’est pas très pratique de dessiner assis, si ?

- Ça ne me dérange pas plus que ça, j’ai l’habitude. Mais c’est vrai que ça fait un peu mal au dos, à force.

- Je te ferais un massage, un de ces jours, me dit-il en me faisant un clin d’œil.

- Tu es serveur et masseur ?

- Seulement pour mon client préféré.

- Je suis sûr que c’est ce que tu dis à tout tes clients.

- Seulement à celui qui me plaît.

Je sens mes joues brûler d’un coup, et je détourne immédiatement le regard pour me replonger dans mon dessin. J’avais encore de petits doutes sur ses intentions, mais là, je ne peux pas plaider l’ambiguïté. On ne peut pas faire plus direct.

- T’as passé une bonne journée ?, me demande-t-il nonchalamment.

- E-Euh, oui…

Je finis finalement par relever la tête vers lui, et par m’apercevoir qu’il est presque aussi rouge que moi. Il fixe un point invisible devant lui, tout comme je fixais mon petit carnet de croquis, sûrement à cause de ma réaction. Je dois avouer que ça me rassure un peu. Je me sens moins seul.

- Et toi ?, je reprends. Ta journée ?

- Ça a été, me répond-il du tac au tac, en me regardant de nouveau en souriant de toutes ses dents.

C’est comme si le fait que je relance la conversation l’avait rassuré d’un coup. C’est bien, de se rassurer mutuellement.

- Dis, reprend-il, t’aimerais qu’on retourne se balader tous les deux ? Pour que tu trouves de l’inspiration, pour tes dessins. 

- Je n’ai pas besoin de chercher de l’inspiration pour me balader.

Son sourire s’agrandit, et il passe de nouveau la main dans ses cheveux. Aucun de nous ne parle pendant quelques secondes, avant qu’il ne reprenne la parole en me regardant toujours dans les yeux, comme pour scruter le fond de mes pensées.

- C’est bien un rencard ?

- C’est… Une balade.

- Une balade-rencard ?

- C’est une balade, je répète, en souriant.

- Ok, ok, j’accepte avec plaisir une simple balade, se défend-il en levant les mains.

- Comment tu as su que j’étais là ?, je lui demande, pour changer de sujet. J’aurais pu être n’importe où.

- Je sais tout, me répond-il en jouant avec ses sourcils.

Je le regarde de travers, ce qui le fait de nouveau rire. Et je crois vraiment que je ne me lasserais jamais de son rire.

- Comme t’avais eu l’air d’aimer le parc, je me suis dis qu’il y avait une chance que tu sois là.

- C’est vrai que j’aime bien le parc. Il est joli.

- Et maintenant, il est associé à de très jolis souvenirs.

- Moui, c’est vrai. Je ne peux pas dire le contraire.

On se regarde tous les deux en souriant, et ce pendant une durée que je ne saurais estimer. Nous sommes juste chacun plongé dans les yeux de l’autre, et j’ai vraiment l’impression que le temps s’est suspendu le temps de ce regard, comme si le monde entier s’était arrêté pour nous observer. C’est une sensation extrêmement étrange.

- Bon, finit par dire Andy, brisant la magie de ce moment, je vais te laisser dessiner.

- D’accord.

- Tu penses venir au café, demain ?

- Oui, après mes cours.

- Génial ! A demain, alors.

Il me fait un autre petit signe de main, et je le regarde partir avant de me remettre à dessiner, le sourire aux lèvres.

Un café, trois sucres et un serveur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant