Chapitre 4 - Lundi 05/04

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C’est ça, la fac. On nous donne du travail à faire, et avant même qu’on ne l’ait fini, on nous en redonne. Et comme si ça ne suffisait pas, on nous en donne encore et encore, comme si on était des machines qui devaient travailler pour respirer. Sauf qu’il faut d’abord pouvoir respirer, pour pouvoir bien travailler. Et ça, la plupart des enseignants ont du mal à le comprendre.

Je continue ma petite marche jusqu’au café, comme quasiment tous les jours. C’est devenu mon trajet quotidien. Mais c’est plus pratique, pour travailler, d’être posé dans un petit café. Chez moi, je finis trop vite par me déconcentrer et par faire autre chose que dessiner, même si j’adore ça.

Une fois arrivé dans mon repaire, je vais m’installer à une table de libre et sors mes affaires de travail. Mais avant de me mettre à dessiner quoique ce soit, il faut d’abord que je réfléchisse à ce que je vais pouvoir faire pour mon porte folio.

Un porte folio, c’est une espèce de petit recueil de dessins que je suis censé faire avant la fin de l’année, qui est censé être représentatif de mes talents en dessin.

En gros, c’est censé montré l’éventail de tout ce que je suis capable de dessiner, pour que n’importe qui puisse voir en quelques planches le « style » de dessin que j’ai. Et ça tombe mal, parce que je n’ai pas vraiment de style particulier. J’aime dessiner un peu tout et n’importe quoi.

Heureusement, j’ai encore du temps avant de le rendre, mais je suis censé en donner une première version, ou au moins une ébauche, dans quelques semaines.

- Bonjour !, s’exclame une voix masculine que je reconnais bien vite. Alors, qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ? Encore un sucre bien caféiné ?

Le serveur se met à rire, sûrement à cause de la tête que je dois faire.

- Je vous apporte votre café, reprend-il. J’arrive.

- Merci… ?

Je le regarde s’en aller jusqu’au comptoir et me préparer mon café derrière celui-ci, et je me mets doucement à sourire. J’y ai déjà pensé à plusieurs reprises ce weekend, mais je devrais le dessiner. Vu son visage et ses traits, je suis sûr qu’il ferait un beau dessin.

Je l’observe pendant quelques minutes, histoire de bien mémoriser tous ses traits dans les moindres détails, et je me sens obligé de lui sourire en retour quand nos regards finissent par se croiser.

Le serveur finit par sortir de derrière le comptoir et par revenir vers moi un grand mug de café à la main, le tout sans se démunir de son grand sourire.

- Tenez monsieur, votre café, me dit-il en posant la tasse devant moi et en me faisant une espèce de semi-révérence. Vous êtes borné.

- Pardon ?, je lui réponds en fronçant les sourcils.

- La feuille, m’indique-t-il en pointant ma feuille de dessin. Elle est vide.

- Oui, c’est normal, je suis censé dessiner. Je ne vais pas dessiner sur un dessin déjà fini.

- Mais mon idée de chapeau est vraiment bien ! Vous devriez au moins essayer. Vous verrez, un chat avec un chapeau, c’est adorable !

Je le regarde s’en aller les mains levées, en signe de capitulation, tout en souriant. C’est un serveur vraiment bizarre, mais il est plutôt marrant, en plus d’être mignon. Et c’est vrai, il a raison, son idée était loin d’être mauvaise. J’aurais pu le lui dire, s’il m’avait laissé le temps de parler.

Je me repenche la tête sur ma feuille, en soupirant. Il faut que je m’y mette. Je verse trois sucres dans mon café, comme toujours, et en bois une gorgée pour trouver l’inspiration.

En attendant de trouver une idée pour mon porte folio, je me mets à dessiner la scène qui s’offre à moi : un jeune serveur s’affairant au travail dans un joli petit café. Je commence par dessiner les traits les plus grossiers, qui me servent de base pour le reste de mon dessin, puis je me plonge un peu plus dans les détails de celui-ci.

Je suis parfois obligé de fermer les yeux, pour revisualiser la scène du serveur me préparant mon café, sans avoir à le fixer en continu. Je revois ses cheveux noirs ébènes tombant sur son front et sa peau hâlée, les traits de son visage lointain, la courbure relativement brute de son nez, son torse plutôt bien taillé caché sous sa tenue de travail…

Je dessine pendant un moment, et mon dessin finit globalement par ressembler à quelque chose. Le cadre est assez ressemblant à la réalité, même s’il manque encore pas mal de détails, mais le serveur est plutôt réussi, ce qui m’arrache un sourire.

Je regarde ma montre, et fais la moue en voyant qu’il ne me reste qu’une petite demi heure avant la fermeture du café. Je range mes affaires dans mon sac puis me lève pour aller payer. Arrivé au comptoir, je n’attends que quelques secondes à peine avant qu’une serveuse ne se tourne vers moi pour m’encaisser.

- J’ai pris un café allongé, je lui dis.

La serveuse ouvre la bouche pour me répondre, mais elle se prend un coup de hanche avant d’avoir eu le temps de me répondre.

- Je m’en occupe, lui c’est moi qui l’encaisse, dit le jeune serveur à sa collègue, qui n’a pas l’air de comprendre ce qui vient de lui arriver.

- Euh, d’accord…, répond-elle avant de s’en aller nettoyer une table un peu plus loin.

- Alors, un allongé, reprend le jeune serveur, ça fera… Deux soixante quinze.

Je lui tends la monnaie, ayant déjà préparé ce que je devais, et il me prend l’argent des mains en me souriant.

- J’ai aperçu votre nouveau dessin, continue-t-il, il a l’air pas mal. C’est même mieux que mon idée de chapeau.

- Ça n’a rien à voir, ça c’est un autre projet.

- Aah, je vois… Ça explique pourquoi vous me dessinez moi plutôt qu’un chat.

Je sens mes joues devenir brûlantes, sûrement à cause de l’intensité de son regard. J’ai l’impression que ses yeux sont en train de regarder directement non plus moi, mais carrément mon âme.

- Bonne soirée, reprend le serveur sans détacher son regard du mien et sans perdre son sourire, avant de retourner aider sa collègue à nettoyer la salle.

Quant à moi, je me dépêche de rentrer chez moi.

Un café, trois sucres et un serveur Où les histoires vivent. Découvrez maintenant