Chroniques Spatiales

20. Secrets de famille

Le comte répéta encore et toujours les mêmes mots. Sans doute l'Inquisiteur pensait qu'à force, il finirait par changer sa version et se plier à sa vision des choses.

«—Nous avons vu Manfred avant de nous rendre dans les appartements de Kate. Nous ne pouvions pas le faire sans son accord.»

Ou le vôtre, que vous n'avez d'ailleurs pas donné.

«—Ce n'est pas un jeu pour nobliaux en vacances! Un crime a été commis et la principale suspecte a –comme par hasard!– un alibi. Avez-vous déjà tout oublié de ce dont nous avons discuté?»

Pol rougit à ces mots, en sentant sa colère monter.

«—Inquisiteur Siméon, je vous prie d'être précis et rigoureux dans l'étude des preuves. Il pourrait être dangereux de se fourvoyer dans des interprétations erronées, déclara le noble d'un ton caustique, le regard brûlant.
—Vous aussi, vous devriez faire attention. Vous vous oubliez Barcueil, il me semble.»

Nass s'avança d'un pas. Une dague était apparue dans sa main. Siméon avisa l'arme. Les deux hommes se jaugeaient mutuellement, ignorant complètement Pol. Il en profita pour réfléchir à toute allure.

«—Dans ce cas, pouvons-nous au moins... Voir la scène du crime? demanda le jeune homme, un peu surpris par la tournure de la discussion.
—Je n'en vois pas l'intérêt. J'ai déjà contacté le Torquemada qui arrivera très bientôt, avec toute la logistique nécessaire.
—Vous voulez parler des allumettes, je suppose? Déméter manque si cruellement d'animations, ironisa Pol, dégoûté. 

Si le célèbre C.S.S. Torquemada était déjà en route, il savait déjà comment se finirait cette histoire : un procès factice conclu par une vraie condamnation au bûcher en place publique. Contre toute attente, ce fut Nass qui prit la parole, d'une voix douce et posée.

«—Inquisiteur, M. le Comte est un médiateur impérial... commença t-il, pensif.
—Ca ne change rien à ma juridiction, soldat.
—Vous m'avez mal compris, dit-il avec un sourire énigmatique. L'Empereur voudra un rapport détaillé et circonstancié de cet épineux problème. De ce que l'on dit, il n'est pas homme à se contenter d'à peu près.»

Pol vit tout de suite que les mots de Nass avaient fait mouche. Siméon ouvrit la bouche et la referma, l'air contrarié. Il tritura son stylet, rassembla ses feuillets en pile bien nette en les tapotant trois fois sur son bureau.

«—Bon, très bien. Je vous autorise à collecter les éléments pour le rapport impérial. Toutefois, je vais mettre d'emblée les choses au clair, entre vous et moi.»

Il les toisa, le regard glacé, la bouche pincée, en posant sa main droite sur l'Evangile du Créateur.

«—Si je découvre que vous manipulez, escamotez ou fabriquez des preuves dans le but de faire innocenter la coupable, j'aurais vos têtes, même si ce sera la dernière chose que je ferai de ma vie. Considérez ceci comme un avertissement juste et amical. Disparaissez, maintenant, j'ai une instruction à boucler en vue du procès.»

⭐⭐⭐

Sans tarder, les deux hommes se rendirent dans les appartements de Manni. Il n'y avait plus de gardes et le corps avait bien entendu déjà été emmené. Ce qui contraria Pol.

«—Mmm, j'aurais bien aimé qu'on nous laisse aussi voir le corps. En plus, on aurait pu vérifier nous même les affirmations de Siméon.
—Avant, notre peuple pensait que les cadavres portaient malheur.
—Ils ont changé d'avis?
—En quelque sorte. Nos Doctes ont compris qu'il fallait craindre les microbes plus que les superstitions. Même si les deux peuvent tuer tout aussi efficacement.
—Je vois. Mais je ne crois pas que c'est un microbe qui a étouffé le Seigneur Manfred avec son oreiller, si tu veux mon avis. Inspectons la pièce.
—Pol, j'aimerais comprendre, avant de me lancer dans ce bourbier. Je suis là pour te protéger, donc je me dois de te demander : pourquoi vouloir sauver à tout prix cette femme?
—Parce que je la crois innocente? Je trouve sa situation injuste et inique. Mon code de conduite m'impose d'intervenir pour rectifier tout ça.»