22. Abus de marché

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Acorne, préfecture de la concession Gamma-39a, était administrée par les bons soins des Précarets depuis plus de cinquante ans et comportait environ cinq mille âmes. Selon les standards de la colonisation, les dimensions de Déméter et à l'échelle de l'urbanisme de l'ère spatiale, cela restait une petite ville. D'après les infos pêchées sur le Neuro-net.

Au moins, ce coin paumé possède un accès au réseau.

Toutefois, la taille «modeste» d'Acorne restait significative quand il s'agissait d'y chercher une planque pour le trafic en tout genre. La seule solution que Nass et le comte avait trouvé était la plus simple mais aussi la plus longue : écluser les débits de boissons ultra-réglementés de cette planète sous coupe réglée. 

— C'est pénible, à la fin. A les écouter, ils ne boivent que du lait et des bières sans alcool entre deux prières au Créateur.
— Je ne crois pas que les humains soient de parfaits zélotes en la matière, Pol. Je pense plutôt que la clandestinité est de mise.
— Certes, c'était plus ou moins ce que j'avais compris, Nass. Merci de ton avis éclairé.
— A ton service, rétorqua le mercenaire sur le même ton. Je ne pensais pas que les gens d'ici se montrerait aussi fermés et peu loquace.

Pol ne pouvait pas tenter de graisser la patte de tous le monde et Nass n'allait pas non plus s'amuser à menacer à l'aveuglette. S'enquérir prudemment et poser des questions sans avoir l'air d'y toucher leur avait semblé la meilleure technique à adopter. Sans succès.

— On devrait peut-être contacter l'Inquisiteur ou demander à Bertie.
— Non. Le Tseiano secoua la tête, appuyant sa fin de non recevoir. Je n'ai aucune confiance ni en l'un, ni en l'autre.
— Tu n'as confiance en personne.
— C'est faux. J'ai confiance en moi et c'est suffisant. Je sens que l'Inquisiteur nous ment et que ce moine nous cache des choses. Par conséquent, nous allons nous débrouiller seuls.
— Ah oui? Et comment on va s'y prendre?

Pol regretta cette question et eut malheureusement tout le loisir de se le reprocher. L'idée de Nass était d'inverser la donne. Ils étaient donc en train de surveiller les allers et venus du personnel libre dans le but de remonter la filière.  

— Mission de médiation, tu parles! J'ai mal au dos dans cette position et j'ai les jambes complètement ankylosées.
— Arrête de te plaindre. Tu veux sauver cette femme et prouver ce que tu vaux à l'empereur oui ou non? Alors tais-toi, Pol. Je dois me concentrer.

Le comte était furieux et vexé. Nass avait raison sur toute la ligne, y compris pour Kate. Il se surprit à nourrir des pensées coupables envers la jolie rousse. Troublé, il chassa tant bien que mal la veuve de son esprit. Ses yeux verts rest–

— Là, Pol. C'est cet humain. On ne le perd sous aucun prétexte! chuchota t-il, les dents serrées.
— Tu arrives à le sentir d'ici? souffla Pol, sans quitter la cible du regard.
— Le sentir? Non, mais je l'ai entendu parler. Suis-moi sans faire de bruit.
— Je ne fais aucun bruit!

Un doigt sur la bouche et un regard autoritaire de Nass l'obligèrent à épier le contact. Il s'agissait effectivement d'un humain qui se déplaçait vite et sournoisement. Il rasait les murs, restait dans l'ombre des ruelles et se retournait fréquemment. L'homme portait bien sûr une lourde capuche.

Si les deux hommes n'avaient pas été aussi sûrs de leur filature, ils auraient pu croire qu'ils avaient été repérés. Toutefois, l'homme ne modifiait pas son allure et ne donnait aucune impression d'urgence ou d'alerte. Il paraissait seulement très méfiant.

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