Chapitre 2

100 11 0
                                    

- Tes sûre de n'avoir rien oublié ? me demande Mason.
Son murmure me parvient dans l'obscurité, tandis que nous marchons, d'un pas vif, vers le 4x4 qui nous attend. Nous sommes au beau milieu de la nuit, à Frozen Hills, dans l'État du Michigan, à quelques minutes de notre nouveau départ.
- Oui, lui dis-je.

Je suis certaine de n'avoir rien laissé derrière moi, sauf des meubles et quelques vêtements inutiles. J'ai l'habitude des départs précipités, l'exercice n'a plus de secret pour moi.
- Donne moi ça, dit-il en attrapant la valise que je traine sur l'allée pavée.
Je le laisse faire parce que je me sens pas complètement remise de la procédure. Je ne suis pas encore tout à fait moi-même. Mason attrape la poignée et soulève sans effort ce qui me paraissait peser une tonne de plomb. Mon bagage rejoint la pile des autres et le coffre de la voiture se referme dans un bruit étouffé.

Je grimpe sur le siège arrière. Cassie, à l'avant, se retourne brièvement vers moi avant de revenir à son travail. Elle n'a pas quitté son déguisement médical, mais elle a passé un sweat-shirt gris par-dessus. Ses cheveux blond vénitien sont tirés dans une queue-de-cheval bien serrée.

D'un geste mécanique, elle remonte sur son nez les petites lunettes qui lui donnent l'air plus âgé et, tandis qu'elle se concentre sur son smartphone, l'ordinateur surpuissant fourni par le gouvernement. Mason repart vers la maison pour une ultime vérification.

J'en profite pour regarder une dernière fois l'endroit auquel, en trois ans, j'ai fini par m'attacher. La modeste bâtisse de deux étages, en briques rouges et aux volets noirs, date de la fin du XVIIIe siècle. Prête à lui dire au revoir pour toujours, je m'aperçois que cette maison, de toutes celles que j'ai connues, est probablement ma préférée.
D'un autre côté, je ne connais pas la suivante. Elle sera peut-être encore mieux.

Une voiture noire se gare devant l'entrée et deux hommes en costume sombre descendent. C'est l'équipe de nettoyage, son arrivée est toujours un peu troublante. Ils n'ont jamais mis les pieds chez nous, mais ils franchissent la grille de fer forgé et montent le porche sans aucune hésitation. Mason sort juste au moment où l'un des agents tend la main vers la poignée. Les trois hommes se croisent sans échanger un mot, à peine quelques brefs signes de tête entendus.

La porte se referme sur les agents. Comme une chouette, les yeux écarquillés, je tâche de percer l'obscurité pour déceler des mouvements à l'intérieur, mais les fenêtres restent noires. Rien ne bouge. Furtifs comme des ninjas, ils vont effacer toute trace de moi et de ma prétendue famille, et laisser la maison dans un dénuement si authentique que l'agent immobilier chargé de la vendre n'imaginera pas une seconde qu'elle était habitées par autre chose qu'un couple effondré après la disparition tragique de leur jeune adolescente.

Après le nettoyage, l'équipe infiltrera le voisinage assez longtemps pour apaiser les esprits et répandre la rumeur que les parents infligés sont partis en Arizona, en Géorgie, ou dans le Maine pour faire leur deuil. Les rumeurs débutent toujours avec le pompiste falot ou la bibliothèque du coin.

Les agents, alias les Disciples, suivent tous une formation. Mais qu'ils soient médecins, chercheurs, vigiles ou gardes du corps, la plupart d'entre eux pourraient parfaitement faire carrière à Hollywood. Mason, dans son personnage invariable de père aimant, s'assoit enfin au volant. Vêtu d'un vieux Jean et d'un pull marron, avec ses yeux verts fatigués et ses cheveux noirs traversés de fils blancs, il mérite un Oscar.
- allons-nous? demande-t-il à Cassie.
- Dans le Nebraska, lui répond-elle, sans relever les yeux de son minuscule ordinateur. Omaha.
Mason opine et passe la marche arrière.

Je regarde une dernière fois mon ancienne maison et, dans un soupir, je coince un coussin entre ma tête et la vitre froide. À peine arrivés en bas de notre rue, je m'endors.

RevivedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant