Le tranchant du savoir

182 33 345
                                    

Depuis la nuit des temps, la nature avait toujours été omniprésente. Elle créait, transformait et tuait. De cette perspective, elle n'était en rien différente des êtres qu’elle accueillait, les humains. La nature avait prospéré en leur présence, elle fleurissait et les aidait.
Cependant l’humanité changeait sans qu’elle eût à intervenir. Les humains ne se contentaient plus des légumes et des fruits que la nature leur donnait si gracieusement. Le meurtre devint un des piliers de l’humanité. Il était une excuse pour la survie, la guerre et la haine. La nature devait maintenant supporter les effluves de sang qui peignaient ses bourgeons.

Les jardins de Nefeli étaient réputés pour offrir un second souffle à ces espèces florales qui atteignaient la fin d’une vie. La reine avait toujours éprouvé une certaine fascination pour les fleurs, leur douceur et leur parfum.  Tous les citoyens de Seryn savaient qu’elle s’y recueillait. Ces jardins étaient une consolation dans cette prison qu’était son mariage. Peut-être appréciait-elle de se retrouver avec ses semblables. D’être avec des âmes aussi fragiles et vulnérables qu’elle.

Pour lui, les fleurs étaient différentes. Elles possédaient des arômes qui lui permettaient d’oublier l'odeur du sang. La douceur de leurs pétales faisait disparaître le souvenir de la rugosité de la peau humaine. Les fleurs étaient un rare apaisement qu'il ne cessait de rechercher.

C’était pour cette raison qu’Alexei, durant ses jours de repos, aimait s’occuper de ces fleurs aussi exotiques qu’ordinaires. Agenouillé face aux roses, il effleurait la douceur écarlate qu’étaient les pétales. Leur parfum venant chatouiller ses narines. Il ne savait pas pourquoi les roses avaient été son premier choix. Elles étaient dangereuses, séductrices. Ces fleurs les attiraient par leur odeur plaisante, laissant place à une vue pourpre qu’était leur corolle. Tout ce rituel, en apparence, innocent pour qu’il fasse l’erreur de vouloir les arracher du sol. De cette manière, leurs épines s’enfonceraient dans sa chair et relèveraient son sang comme une offrande.

Alexeï n’avait vraiment aucune idée quant à la raison qui l’avait poussé vers les roses.

– Je savais que je te trouverai ici, face aux fleurs, comme l’homme simple que tu aimerais être.

Il ne se retourna même pas, connaissant déjà cette voix chantante, toujours armée d’une moquerie.

– Je t’ai déjà rapporté tout ce que tu m’avais demandé. Alors dis moi, qu’est ce que tu veux, Visha ? demanda Alexeï, les yeux fixés sur les roses.

Elle ne répondit pas tout de suite, préférant faire prolonger le suspense que sa question imposait.

– Si je te disais que j’aimerais que tu me traites avec la même tendresse que tu réserves à tes fleurs, tu me croirais ? répondit-elle la voix douce, à peine plus forte qu’un murmure.

Alexeï tourna légèrement la tête, assez pour pouvoir la regarder au-dessus de son épaule.

– Je pense qu’on connait tout les deux la réponse.

Visha garda le petit sourire qui ornait son visage. Il observa la femme dans toute sa grandeur, presque à la recherche de souvenirs. Visha n’avait jamais été une belle femme pour l’univers. Ses pommettes étaient trop hautes et sa mâchoire bien trop imposante pour que l’on puisse lui associer la féminité de leur temps. Quant à ses cheveux, ils étaient d’un roux éblouissant, sûrement agaçant pour certains. Visha les réunissait toujours en une tresse qui n’arrivait jamais à contenir leur fougue. Ainsi certaines mèches s’égaraient sur son front puis vers ses joues creuses. Elles venaient caresser les centaines de tâches de rousseur qui parsemaient sa peau blanche telle une explosion d’étoiles.

SeraphineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant