La démence d'un homme

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L’éphémérité était ce qui caractérisait le corps humain selon Caïus, dieu des hommes. Une chose si fragile qu’il était et pourtant débordé par des émotions trop intenses pour sa chair. Une hôtesse épineuse pour l’esprit avide de liberté qu’était l’humanité.
Une humanité qui avait commencé avec un petit cri. Un sanglot destiné à être un appel à l’aide. Sa première Lune serait marquée par la naissance de son âme, de l’innocence même.

Pourtant, son premier soupir n’était que le premier coup de pelle qui creusait sa tombe.

La vie humaine était symbole d’héritage, de culture et d’une mémoire éphémère. L’enfant deviendrait un homme. Un être qui aurait oublié ces instants de bienveillance désintéressée, ses paroles prononcées avec des lèvres sincères.  Tout cela ne serait que des souvenirs, des traces que le vent de la dernière décennie emporterait avec lui.

Le corps, lui, n’était que la marionnette qui exprimait tous les désirs sinistres et les remords passionnels de sa flamme. Un masque qui finirait par vieillir, marqué par les coups trop durs et les syllabes trop denses. Son visage deviendrait crispé à cause des pleurs ou des rires.
Les rides feraient leur apparition, sonnant la cloche. Un refrain qui annonçait le début de la démence d’un homme.

Les tremblements prendraient possession de ses membres. Ils finiraient par interdire à l’homme de se nourrir et même marcher jusqu'à son lit deviendrait un supplice. Le corps commencerait à perdre ses cheveux. Les mèches s’écrouleraient sur le sol sans un bruit.

Et si l’homme voulait échapper à ces pensées obsédantes qui étaient une ode à la mort, ses yeux seraient incapables de lui offrir une lecture indolore.

La dernière liberté qui lui était permise était celle de choisir comment quitter ce monde amer. Allait-il laisser le temps agir ? En priant tous les soirs que cette nuit soit la dernière ? Ou prendrait-il le couteau en main ? Afin de garder le semblant de dignité qu’il était persuadé d’avoir gagné.

Alexeï ne savait pas encore comment il voulait mettre fin à sa vie. Cependant, une chose était sûre, il refusait de finir comme ça.

Le cadavre devant lui était le résultat d’une tout autre démence. Une folie, que même les bas-fonds devraient craindre. Une punition qui avait détruit son corps après avoir certainement empoisonné son esprit. Ses yeux d’ambres parcouraient le défunt avec un mélange de concentration et de dégoût. La peau du cadavre était d’une pâleur alarmante malgré la suie qui parsemait cette dernière. Ses veines n’étaient plus d’un bleu discret mais d’une noirceur qui n’avait pas d’égale. Alexeï leva sa main vers le visage de la victime et inclina son menton pour mieux observer les dégâts de cette démence. Il dut user de toutes ses forces pour ne pas grimacer face à la peau qui se décollait douloureusement du visage du défunt. Alexeï se félicita silencieusement pour avoir mis des gants avant de partir.

Le corps devait être dans ses ruelles depuis quelques jours maintenant. Il avait commencé à se décomposer. Et malgré le mouchoir qu’ Alexeï pressait sur sa bouche et son nez, l’odeur infâme de la chaire périssable arrivait à se frayer un chemin vers ses narines.

Il n’avait jamais vu une telle chose auparavant. D'une certaine manière, les corps déchiquetés du champ de bataille lui semblaient moins effrayants.

– Je ne vois pas pourquoi on perd notre temps ici. C'est pas la première fois que les rejetés des bas fonds confondent du poison avec de la bière.

– Ferme là, Isaac. grogna un Leo agacé, ces mots étouffés par le tissu qu’il portait comme un masque.

Les yeux toujours fixés sur le cadavre devant lui, Alexeï répondit:

SeraphineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant