Rêves éternels

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Les rêves étaient une chose étrangère aux dieux. Un produit purement humain, que seuls les esprits les plus naïfs ou les mélancoliques immuables idolâtraient encore. Des images qu’ils pensaient peut-être réalisables avec un peu plus d’espoir. Mais comment garder espoir quand les seules choses qu’ils désiraient vraiment n’apparaissaient que pendant leur sommeil ?

Des souhaits spontanés qui savaient marquer une mémoire, alors inconsciente, en laissant des caresses inouïes sur leur passage candide. Les rêves étaient une représentation des aspirations les plus profondes et enfouies des cœurs trop impressionnables. Un ensemble d’illusions qui ne faisaient que de satisfaire les pleurs du peuple. Un récit endormi d'une vie qu’ils n’auraient jamais.

Les cauchemars, eux, étaient bruts, violents et sans merci, toujours à la recherche d’une crainte à exploiter. Une peinture qui dévoilait une guerre interne. L’esprit se retrouvaient en captivité face aux menaces que ses peurs proféraient. Les cauchemars étaient cruels. Ils s’inscrivaient dans les veines et s’étendaient au plus profond de la chair jusqu’à ce que la respiration devienne difficile. Ils s’amusaient  avec les sentiments délicats d’un cœur brisé. Des sales petits tours qui détruisaient des barrières en abandonnant des cicatrices symboliques.

Les hommes appréhendaient le sommeil, priant pour que la fatigue ne vienne jamais les chercher.

Préférant s’effondrer que de devoir écouter une énième fois ces refrains incessants et tortueux qu’étaient leurs cacophonies nocturnes.

Alexeï n’avait jamais été en proie aux rêves. Chaque nuit n’était qu’un rappel constant des horreurs qu’ils avaient vu sur le champ de bataille. Dormir ne lui procurait aucun repos, aucun soulagement. L’idée même d’aller se coucher lui provoquait des frissons et une angoisse silencieuse dont seule la lune était témoin. La reine du ciel de minuit était une bien meilleure compagnie pour son esprit enchaîné. Une lumière constante et éthérée qui embrasait ses démons les plus fous lorsque le Soleil disparaissait.

Cependant, ce qui le tourmentait cette nuit-là n'était pas des corps sanglants, ni le bruit des lames que l’on affûtait. Non, assis sur les marches menant au temple d’Oryn, il observait , grâce à sa hauteur, Seryn qui n’était plus que le reflet d'elle-même. Les faibles torches essayaient tant bien que mal d’illuminer les rues armées par le souffle de la mort. Une flamme qui se déchaînait pour garder en vie les âmes infectées par un jugement divin.

Le sentiment d’impuissance tendait ses muscles et son expression sévère accentuait ses cernes. Tout ça le démangeait. Combien de fois avait-il posé des questions silencieuses aux dieux ? Lui qui refusait d’apporter une quelconque importance à ces mythes, à ces personnages supérieurs était, maintenant, un esprit qui alimentait leurs légendes. Pour Alexeï, ce n’était pas de la foi mais du désespoir et de la colère. Un acharnement qui finirait par le faire sombrer dans une haine viscérale.

Alexeï n’était pas un homme consumé par des croyances et des illusions. C' était un être fait de chair et de sang.
Les prières sonnaient creuses et indésirables pour quelqu’un d’aussi amère.

– C'est vraiment facile de te trouver, tu sais ?

Mélodie, douceur, malice mais aussi fatigue.

La voix unique de Visha avait fait son chemin vers ses oreilles. Il prit un petit caillou entre ses doigts et commença à jouer avec.

– Alors, c’est une bonne chose que je ne cherche pas à me cacher.

– Ça, j’en doute encore.

Alexeï entendit ses pas se rapprocher de lui et du coin de l'œil, il vit sa silhouette s’asseoir à côté de lui.

Malgré son ton habituel, il sentait que quelque chose la dérangeait. La jeune rousse n’était pas aussi illisible qu’elle le pensait. Du moins pas pour lui. Ils se connaissaient depuis qu’ils étaient des adolescents. Les piètres pièges comme ceux-là ne marchaient pas entre deux âmes liées par le cœur et l’esprit.

SeraphineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant