Chapitre 16

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La journée passe à la fois vite, à la fois lentement.

Chaque seconde est un véritable supplice pour moi. Chaque seconde paraît durer une heure. Je ne peux pas rester assise sur ma chaise, tranquillement, comme si de rien n'était. Je ne peux pas sourire et faire croire que je suis heureuse. Je ne peux pas arrêter les quelques larmes qui coulent sur mes joues. Je ne peux pas ne pas penser à Nathan, allongé dans son lit d'hôpital, entre la vie et la mort. Non, je ne peux pas. Je n'y arrive pas. C'est au-dessus de mes forces.

Les cours se succèdent, tous plus ennuyants les uns que les autres. Ils durent une éternité et le tic-tac de l'horloge me fait bouillonner d'anxiété.

Lors de la pause méridienne, je ne mange pas. J'en suis incapable. Rien que l'odeur de la nourriture me donne envie de vomir. Je ne peux pas. Noah et Jules tentent de m'aider, mais ils ne peuvent rien faire, et ils le savent aussi bien que moi.

Nathan, mon premier ami ici, mon pilier lorsqu'on est arrivés à l'école, mon meilleur ami, à l'hôpital, oscillant entre nous rejoindre ou partir à tout jamais, la vie et la mort, le vivant et le mortel.

Je ne sais que faire. Je n'y arriverai pas sans lui. Il doit survivre. Il le doit. Le monde a encore besoin de lui. Sa famille a besoin de lui. Ses amis ont besoin de lui. J'ai besoin de lui. Nathan doit s'en sortir.

Chaque heure, je m'attends à le voir franchir la porte, le sourire aux lèvres, sa bonne humeur se répandant dans ma classe. À chaque commentaire du professeur, je m'attends à entendre son rire résonner, sa voix me chuchoter quelque chose de drôle. À chaque fois que je me retourne, je m'attends à le voir, prêt à me lancer un bout de papier dessus pour que je me concentre sur le cours. À chaque minute, je m'attends à le voir, à reconnaître ses particularités qui sautent aux yeux dès qu'on le connaît. J'aimerai tant apercevoir le bout de son nez « pinocchien », comme il l'appelle, voir ses cheveux noirs de jais qui lui font brûler le cerveau lorsque le soleil est trop chaud, discerner ses yeux rieurs, entendre son rire qui donne envie de rigoler à son tour. J'aimerai tellement...

La dernière cloche sonne et Noah, Jules et moi nous dirigeons vers la maison de Nathan, ses parents nous ayant invités afin qu'on puisse prendre des nouvelles de notre ami. En marchant vers la maison, je ne peux m'empêcher d'imaginer le pire, d'imaginer toutes sortes de choses, toutes plus horribles les unes que les autres.

Jules sonne à la porte et je retiens mon souffle lorsque la poignée s'active. Ce n'est pas que j'ai peur des nouvelles que les adultes ont à nous annoncer, même si c'est le cas. Je n'ai jamais rencontré les parents de mon meilleur ami, et ça me tracasse. Que vont-ils penser de moi ? Vont-ils m'aimer ? Et mon handicap ? Que vont-ils en penser ? Vont-ils me rejeter ? Je ne les connais pas, je ne sais rien d'eux, Nathan ne m'en a jamais parlé.

Quand la porte s'ouvre, c'est une petite dame mince, aux cheveux noirs avec des mèches rouges, les yeux en amande couleur noisette et chaleureux qui nous sourit.

— Bonjour Noah, bonjour Jules. Et toi, tu dois être Lessy, me dit-elle avec un sourire qui me remplit de confiance. Je suis Mareva. Entrez, je vous en prie.

Elle est charmante et, automatiquement, je lui fais confiance. Ce doit être la mère de Nathan. Mais, elle ne ressemble pas à son fils... Il doit sans doute tenir de son père. Elle nous conduit dans le salon et nous offre un verre d'eau. Puis, elle s'installe à la table, avec nous.

Quelques instants plus tard, un homme, probablement âgé d'une quarantaine d'années, s'avance dans l'encadrement de la porte. Pendant quelques secondes, je reste figée : l'homme, le père de Nathan, ressemble à Yan.

Les souvenirs me rattrapent...

Yan me rattrapant alors que je manque de tomber, lors de notre rencontre. Yan m'embrassant fougueusement. Yan et moi. Moi et Yan. Nous deux. Ensemble. Pour toujours. Yan...

C'est en tout point le sosie de Yan, mais en entrant dans les détails, je remarque qu'il a la peau plus mate, que ses yeux sont bleu foncé et non gris orageux et ses cheveux sont blonds cendrés alors que ceux de Yan sont blonds paille.

L'homme doit sentir mon regard sur lui, car il se tourne vers moi et affiche un grand sourire qui dévoile ses dents. Je fais tout pour tenter de ne rien laisser paraître quant à mes émotions et les pensées qui traversent mon cerveau en lui offrant un sourire que j'espère convaincant.

— Salut les gars ! Comment vous allez ?

— Ça va et vous ? demande Noah poliment.

— Ça pourrait aller mieux... Tu dois être Lessy ! dit-il en se tournant vers moi. Nathan nous a beaucoup parlé de toi !

Je rougis, gênée que des inconnus en sachent plus sur moi que je n'en sais sur eux.

— Je suppose que vous attendez impatiemment des nouvelles de Nat ?

Nous hochons tous les trois la tête, incapable de parler. L'homme s'assoit sur une chaise à côté de nous et se prend la tête entre les mains. Sa détresse est perceptible dans toute la pièce.

— Il surfait, comme à son habitude, mais cette fois, une vague plus grosse que les autres l'a emmenée sous l'eau et...

— Les vagues continuaient de le maintenir sous l'eau, continua la femme. Heureusement, des gens à la plage ont appelé les pompiers et le sauveteur est parti le chercher en attendant les urgences. Il était inconscient. Maintenant, il est à l'hôpital, plongé dans un coma artificiel, le temps que les médecins guérissent les blessures les plus graves, causées par les coraux au fond de la mer.

Personne n'ose formuler à voix haute la crainte qui nous habite : et s'il ne se réveillait pas ? Et s'il restait plongé dans ce coma et en mourrait ?

Les parents de Nathan nous rassurent et nous promettent de nous informer lorsque l'on pourra aller voir Nathan à l'hôpital.

La faute au silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant