Chapitre 4

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Des éclats de voix à proximité me ramènent dans le monde réel et je me fais éclabousser.

Des gouttes d'eau tombent sur mon carnet et je m'empresse de l'essuyer, ne voulant pas que l'encre bave.

— Excuse-moi, je n'aurais pas dû lancer de l'eau vers toi.

Un garçon qui a l'air d'avoir le même âge que moi est appuyé sur le rocher, à ma droite.

Plus grand que moi de quelques centimètres, il est métis, ses muscles se dessinant extrêmement bien sur son corps bronzé, les yeux verts rieurs et les cheveux aussi noirs que la nuit. Il a l'air d'un garçon sportif qui va souvent à la salle, un garçon qui ne voit que les bons côtés de la vie, qui la voit rose et où aucun noir ne gâche son paysage. C'est le genre de personne que j'envie, à qui j'aimerai ressembler mentalement.

Je lui fais signe que ce n'est rien.

Je retourne à mes écrits, mais m'arrête net en le découvrant toujours à côté de moi, me fixant.

Je ferme mon cahier et tente de lui faire comprendre en un regard qu'il n'a rien à faire là. Depuis quand est-ce qu'un inconnu lit les affaires des autres ? Il est sympathique, mais je ne le connais pas du tout et je ne veux pas qu'il en sache plus que ce que je veux dire. Enfin... dire est un bien trop grand mot...

— Pardon, j'aurais pas dû lire.

Décidément, ce garçon s'excuse pour tout !

— Mais ton écriture est really nice ! Et de ce que j'ai pu lire, en diagonale bien sûr, t'as un don pour bien exprimer tes émotions. Je te verrais bien en tant qu'écrivaine.

Je le dévisage interloquée.

Moi, écrivaine ?

De ce qu'il a pu lire en diagonale ? Il a donc vu toutes mes pensées que j'ai notées, tout ce que je n'oserais jamais faire comprendre à mes parents !

Il doit comprendre à la façon dont je fronce les sourcils que ce n'est pas très poli de sa part.

— Désolé. Je devrais pas m'incruster dans ta vie. Je te connais même pas.

Je souris, amusée de l'entendre s'excuser. C'est la troisième fois en moins de cinq minutes.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu rigoles ?

Je lui fais un signe de la main lui disant que ce n'est rien.

Cette fois, c'est lui qui m'observe en fronçant les sourcils.

— Tu parles pas ? T'es muette ?

Je me fige, les ongles me rentrant dans la paume des mains. Ma respiration s'accélère et je commence à trembler.

La question que je redoutais le plus.

Je sais que je l'entendrai tout le temps à l'école, mais elle me fait peur.

Je ne l'aime pas.

Je n'aime pas accepter que je l'aie.

— Pardonne-moi, j'aurais pas dû poser cette question. C'est trop indiscret.

Il se retourne pour repartir, les épaules basses, sans doute dégoûté d'avoir dit ça.

Légèrement dépité qu'il s'en aille alors que j'aurais sans doute une connaissance pour l'école et peut-être un futur ami, je gribouille quelques mots vite fait sur une feuille et saute dans l'eau pour le rejoindre.

En m'entendant patauger derrière lui, il se retourne et je lui tends la feuille.

« Excuse pas. Pas seul à demander. Je parle pas. »

— Alors, t'as jamais parlé ?

« Avant oui. Plus maintenant. »

— Oh ! Un traumatisme ?

J'acquiesce.

— Je suppose que tu veux pas écrire ce qui s'est passé ?

Je fais un signe négatif de la tête, mais il ne paraît pas déçu.

Nous allons nous asseoir sur le sable et discutons - enfin, lui parle et moi j'écris - de tout ce qui nous passe par la tête, mais il s'attarde sur le sujet de l'école, voyant probablement la peur d'y aller.

- Les écoles sont vraiment grandes ici, tu peux facilement t'y perdre, mais il y a les plans d'incendie partout dans l'école, donc ça aide à se repérer. Et en plus, il y a des gens qui sont là pour t'aider si tu te perds, surtout le jour de la rentrée. Les profs sont vraiment sympas, ils t'aident dès qu'ils peuvent et ils font tout pour que tu réussisses à pas pocher ton année, faque t'as pas à t'en faire.

Je le regarde avec des yeux grands ouverts. Je n'ai pas compris un seul mot de tout ce qu'il vient de me dire.

- T'es pas Québécoise ?

Je fais non de la tête.

- C'est pour ça t'as rien compris !

Ça a l'air de beaucoup l'amuser. Il me réexplique en prenant soin de choisir des mots que je puisse comprendre.

« Tu vas à quelle école ? »

- Au Triolet, et toi ?

Je hoche la tête en tant qu'affirmation.

Au moins, je ne serais pas seule et il m'aidera.

Souvent, je discute par signe parce qu'il est une des rares personnes qui comprennent ce que je veux dire. Mais parfois, je préfère écrire quand c'est trop dur à expliquer.

Cela doit faire deux heures que nous sommes ensemble, le soleil tapant sur ma peau déjà rougie par le soleil matinal.

« Je dois rentrer. »

— D'accord, on se reverra à l'école ?

Je fais un signe affirmatif de la tête et me lève.

— Attends ! Je ne t'ai toujours pas demandé ton nom.

« Lessy »

Puis je le désigne du doigt avec un air interrogateur.

— Moi c'est Nathan.

La faute au silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant