Chapitre 11

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Je finis de mettre le dernier point dans mon journal et ouvre mon agenda, car oui, bien qu'on ne soit que le premier jour, les professeurs ont déjà mis quelques devoirs à faire et je ne veux surtout pas prendre de retard.

Pour la fin de l'année, la professeur de français nous a demandé d'écrire un texte sur un souvenir marquant, qu'il soit joyeux, rempli de peur ou de tristresse.

J'ai déjà ma petite idée de ce que je vais écrire, mais ma mère m'appelle pour manger, aussi je range le devoir dans mon sac.

— Lessy, à table !

Je descends en toute hâte l'escalier en sentant l'odeur des gaufres. Au menu : gaufres salées jambon et épinard, et au dessert, gaufres sucrées avec chantilly.

Mes parents me connaissent tellement bien qu'ils savent que cette journée s'est bien passée. C'était difficile à cacher : je suis rentrée tout sourire, en agitant la main vers Nathan, Noah et Jules. Mes parents m'ont rarement vu aussi enjouée depuis.... Depuis trois ans. Depuis Yan.

Ça doit leur faire du bien de savoir que je suis heureuse.

— Alors Lapinou, cette journée s'est bien passée ? me demande mon père, le sourire aux lèvres tout en confectionnant les gaufres.

Je me retrousse les manches et me lave les mains, puis vient l'aider à faire la pâte.

D'un hochement de tête affirmatif et enjoué, je lui réponds. Aucun besoin de développer plus ma réponse, ça se voit dans mes yeux pétillants, emplis de bonheur et de souvenirs.

Nous passons à table et grâce à la langue des signes, qu'ils ont appris, par obligation pour me comprendre, je leur raconte ma journée. L'arrivée à l'école. Noah et Jules. Nathan. Les cours. Monsieur Bakino. Ce qu'on a fait.

Et durant tout ce temps, ma bonne humeur ne se tarit pas. Pendant tout ce temps, je souris, faute de pouvoir rire.

Pour une fois, je peux enfin envisager aller mieux, même si je ne veux pas reparler. Un futur où j'irai mieux. Mieux qu'il y a trois ans. Mieux qu'il y a deux ans. Mieux qu'il y a un an. Mieux qu'hier.

Je remonte dans ma chambre et me prépare à me mettre au lit.

Mais avant d'éteindre la lumière de ma chambre, j'ouvre le seul carton restant dans mon placard. Je ne l'ai jamais ouvert depuis qu'on a emménagé ici, pour cause qu'il renferme tous mes écrits du passé et que je ne voulais pas les revoir. Mais maintenant, je ne saurais pas dire pourquoi, j'ai envie de les ouvrir, de sentir leur vieille odeur, de revoir mon écriture. De me souvenir de mon passé lointain, quand je n'avais aucune peur si ce n'était que de perdre mes parents.

Je l'ouvre et en sort tous les journaux intimes que j'ai eu depuis que je sais écrire.

Je prends le premier, celui que j'utilisais lorsque j'avais neuf ans. L'écriture est illisible, à l'époque, j'écrivais mal. Mais je réussis tout de même à décrypter ce qui est inscrit et, tout au long de ma lecture, les souvenirs remontent à ma mémoire. Tout au long de la lecture je me sens retomber dans cette enfance sans problème, où je vivais heureuse.

Chèr journal,

Ses la 1ère fois que je t'écris dedans et je jure sur toute ma vie et celle de mes parents que jamais, jamais, jamais, je me séparerait de toi !

Je te garderai, comme ça, quand je serais plus grande, je pourrai te retrouver et te lire encore et me rappeler de ce jour !

Je suis sensé écrire quoi ici ?

Ma vie, mes émotions ?

Je sais paaaaaas !

Bah tant pis, je vais te raconter ce que j'ai fais dans ma journée.

Aujourdui, j'allais en cours. Et Karine elle a dit que j'étais trop méga gentille parceque je l'aidais à ranger la cour quand il fallait rentrer en classe.

Et aussi, je pense que je suis zamoureuse !!!

J'aime trop trop matis, il arrête pas de me faire rire, il raconte que des blagues trop trop drôle.

Mais je sais pas si lui il m'aime.

Journal, tu peux m'aider ? Je lui dit comment que je l'aime ? J'ai trop peur qu'il m'aime pas et qu'il dise à tout ses amis que je l'aime. Mais je veux pas qu'il le dise. Parceque après tout le monde le saura et ils se moquerons de moi.

Mais j'ai trop trop hate de le voir demin !!

Je vais faire dodo !

À demin !

Malgré moi, je sens mes yeux se remplir de larmes.

Je me souviens de cette période, de ce Mathis, de cette journée où j'ai écrit dans ce journal à paillettes. Je m'en souviens comme si c'était hier. Mon insouciance face à la vie. Mes fautes d'orthographes tellement grosses et voyantes que je me demande comment j'ai fait pour les faire. J'aimerai tant retourner à cette vie, retrouver cette petite fille de moyenne section, retrouver l'enthousiasme de quand j'étais petite. Qu'est-ce que j'aimerai ça...

Je me souviens que c'était Tatie Fannie qui me l'avait offert deux jours auparavant et que je l'avais tout de suite adoré.

Je me souviens que lorsque j'avais fini d'écrire ces lignes, ma mère était entrée dans ma chambre et m'avait demandé ce que je faisais encore réveillée à cette heure-ci. Je lui avais montré le carnet et, avec ma petite voix qui zozotait, je lui avais demandé si c'était bien. Elle l'avait lu en entier et avait souri.

— C'est qui Matis, ma chérie ? m'avait-elle demandé

— C'est un garçon de ma classe, et ze pense que ze l'aime. Il est trop trop beau, maman.

Mon père était arrivé lorsque j'avais ajouté :

— Comme Papa ! Il est trop trop beau, comme Papa.

Mes parents s'étaient regardés en souriant, les yeux pleins d'amour, de joie, et mon père était venu s'allonger à côté de moi.

—Tu veux savoir s'il t'aime ? m'avait-il murmuré.

— Oui ! Comment tu sais que Maman elle t'aime ? Comment tu lui as dit ?

— C'est simple. Regarde-le, regarde ses yeux et sa bouche quand il parle. Si lorsque tu le regardes, il baisse les yeux et ne supporte pas ton regard, mais qu'il sourit, c'est qu'il t'aime.

— Et après ? Ze lui crie ZE T'AIME MATHIS !!

Mes parents avaient rigolé et avaient dit que je ferais ce qui me semblerait nécessaire à ce moment-là.

Mais le garçon ne m'aimait pas, juste en tant qu'amie. Je n'avais pas été vexée, j'étais heureuse d'être son amie. Et il n'en avait parlé à personne.

J'avais continué à vivre normalement, heureuse malgré tout.

Je repose ce carnet dans le carton, puis en prends un autre. Une de ses pages est cornée, pourtant j'ai toujours pris soin de mes cahiers, ne supportant pas qu'ils soient abîmés.

Je l'ouvre et, une deuxième fois, je replonge dans le passé.

La faute au silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant