Ce matin là, c'est avec la boule au ventre que je me rends sur le terrain de foot. J'ai même longtemps envisagé l'idée de ne plus y aller du tout, mais à moins d'abandonner ce sport purement et simplement (ce que je ne peux pas faire sans prendre le risque de ne pas valider mon année scolaire), je vais être forcée de croiser Lola à un moment ou à un autre. Alors autant évacuer ça le plus rapidement possible, pendant une session matinale.
Comme la première fois que je l'ai entrevue, s'entrainant seule dans un stade baigné par les lueurs de l'aube, je me tiens d'abord en retrait. Camouflée par les gradins, je savoure discrètement le spectacle de son corps. Elle dribble entre une série de plot. La balle oscille de droite à gauche avec une fluidité magistrale, ses jambes se meuvent avec une précision qui donne quasiment l'illusion qu'elle danse. Elle transforme le football en chorégraphie artistique.
Je profite de ses cheveux qui flottent dans le vent, de ses bras qui s'échappent de l'échancrure de son maillot, de ses jambes dévoilés par un short qui lui arrive en haut des cuisses. J'admire ce corps imposant, aux muscles fins, féminins et pourtant terriblement solides. Depuis ma dégaine de brindille, j'envie sa prestance.
Mais il vient un moment où je ne peux plus me contenter de fantasmer à distance. Alors je m'approche, timidement, apeurée à l'idée que la première phrase qui sorte de sa bouche soit à propos de notre baiser avorté. Apeurée mais excitée aussi. Je mentirais si je disais ne pas espérer secrètement qu'elle me reprenne par les épaules, comme elle l'avait fait dans les vestiaires.
— Alors, Fontenas, tu vomis plus ?
— Non, ça va mieux.
— Tu vas pouvoir courir ce matin ou faut que que je prépare les urgences ?
— Ça devrait aller.
Pour appuyer mes dire, je commence à accélérer. Lola m'observe quelques instants avant de me rejoindre. On a tellement l'habitude de courir à côté chaque matin qu'on a fini par s'accorder sur une allure commune, intuitive. Nos foulées sont parfaitement synchronisées, tout comme nos respirations. Si quelqu'un nous voyait de profil, il pourrait presque penser que nous ne sommes qu'une seule et même personne.
— Pour le match de samedi, t'as beau avoir marqué, faut pas que tu reposes trop sur tes lauriers, on est d'accord ? T'as encore pas mal de taffe. Notamment, les passes : on dirait que t'as peur de la balle, tu t'en débarrasses dès que t'en as l'occasion, même quand t'es mieux placée que les autres joueuses. Faut assumer. Si t'as marqué, à la fin, c'est juste parce que tu pouvais rejeter la responsabilité sur personne que t'as été forcée de te débrouiller toute seule.
— J'ai pas envie de jouer trop perso...
— Ouaip mais là, t'as passé les trois quarts du match à faire l'exact inverse. Si quelqu'un te donne la balle, c'est pour que tu joues avec, pas pour que tu la refile au premier venu. Je t'ai mise en attaque pour une raison. Va falloir arrêter de jouer les vierges effarouchées et de faire comme si le ballon allait te cramer les cuisses.
— Ok... Mais comment je sais quand je dois faire une passe, alors ?
— Quand tu sens que t'es acculée. Ou alors quand une autre meuf de l'équipe a une bien meilleure position que toi. Mais sinon, t'as pas de raison de t'en débarrasser. Les autres sont pas plus fortes que toi, y'a pas de raison qu'elles récupèrent le ballon à ta place.
J'acquiesce en continuant à courir. Lola continue de me donner des conseils par rapport au match. L'écouter m'enivre. J'ai l'impression qu'elle m'a vue, genre vraiment vue. Qu'elle a lu en moins, compris chacune de mes décisions de jeux, tout ce qui se passait dans ma tête. Elle sait expliquer pourquoi j'ai fait telle passe, pourquoi j'ai manqué tel tir et pourquoi j'ai réussi tel autre. Je me sens soudainement importante, comme une créature qui a mérité d'être étudiée sous toutes les coutures. Personne ne s'était autant investie dans l'amélioration de mes compétences.
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Dans la même équipe [girlxgirl]
RomanceEn arrivant dans l'internat de son nouveau lycée, la solitaire Zoé intègre l'équipe de sport de l'établissement. Elle tombe rapidement sous le charme de la capitaine, aussi fascinante qu'impitoyable. Mise au défi, Zoé s'entraîne de plus en plus dur...