18 - Corps à corps

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Ce matin sera donc le dernier où je me lèverai aux aurores pour consolider mon niveau en sport. Quand le réveil sonne et que ma tête me hurle qu'elle n'a pas reçu ses huit heures de sommeil réglementaires, je suis presque soulagée à l'idée de pouvoir dormir une heure de plus à partir de demain. Et en même temps, je me suis trop attachée à l'euphorie de dominer le terrain de foot pour ne pas craindre une chute de mes performances. 

Je retrouve Lola au stade. Elle était là chaque jour avant moi et elle continuera de venir après moi, indémontable dans sa silhouette célèste. Je me rince les yeux pendant cette dernière matinée où je peux contempler en seule à seule la légèreté de ses mouvements, l'assurance de son regard, les rictus satisfaits qui traversent fugacement son visage à chaque but marqué. 

Je profite une dernière fois de l'occasion de courir avec elle, juste toutes les deux, dans un même rythme. Chaque foulée, chaque geste, chaque détail de sa peau est digne d'un opéra lyrique, semble contenir toute la beauté du monde. Mais quand on arrive à la fin, il me faut bien lui avouer que notre routine s'arrête là. 

— Lola. Je vais pas pouvoir continuer les entraînement le matin. Je suis désolée. 

Elle se fige. Sa surprise a des teintes de reproche. 

— C'est-à-dire ? 

— Je... J'ai besoin de sommeil. C'est con, je sais mais... Je peux plus me lever aussi tôt. 

— Couche toi plus tôt, tout simplement. 

— Je... j'y ai pensé figure toi. Mais c'est pas tellement possible. J'ai trop de devoirs. J'ai pas le temps. 

— Jusqu'à maintenant, je réussis à avoir la moyenne et à m'entraîner le matin. Je vois pas bien ce qui t'en empêche. 

Le fait que j'ai une copine. Ou bien le fait qu'elle ait à peine la moyenne alors que je suis parmi les meilleures de ma classe. Mais je ne veux pas lui dire ça. Et en même temps... J'ai l'impression de ne jamais lui avoir parlé honnêtement. C'est peut-être l'occasion de surmonter la barrière solennelle qui nous sépare. 

— J'ai besoin d'avoir des bonnes notes. Genre vraiment. Toi, tu peux te reposer juste sur le foot, t'es la capitaine, t'es trop forte. Mais moi, je peux juste avoir ça... 

— Tu te débrouilles pas trop mal non plus. Je peux te nommer à un plus haut poste, si t'as envie d'avoir un meilleur dossier. 

— Non, c'est pas ça, c'est que... Ça me fait chier, vraiment, mais j'ai l'impression de pas avoir le choix. 

— Ok. 

"Ok" ? C'est tout ? On va arrêter de se voir avec un "ok" ? J'essaie d'ignorer la blessure morale que me provoque ce mot d'une violence sourde, mais la fatigue exacerbe ma sensibilité et une larme commence à couler le long de ma joue. Puisque Lola ne doit surtout pas me voir pleurer, je me dirige vers les vestiaires. 

À peine ai-je fait deux pas qu'elle m'attrape par le bras pour me ramener vers elle. Je m'empresse d'essuyer mes sanglots de gamine pour me redonner une contenance. 

— Zoé...

Je l'écoute attentivement, plus silencieuse que je ne l'ai jamais été, aux aguets du moindre son qui sortira de sa bouche sublime. 

— C'était pas mal, nos entraînements. 

Je reste immobile. J'ai la certitude qu'elle veut me dire autre chose, qu'un aveu reste bloqué dans sa gorge. Ses yeux, d'habitude si sûrs d'eux, plongés dans les miens, regardent désormais ailleurs. Plus bas. Elle regarde ma bouche. 

— Ça va me manquer. T'étais douée. Mais on se verra les après-midi. T'abandonnes pas l'équ...

Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase. Je l'ai embrassée. C'est comme si les choses se faisaient malgré moi. Je réalise que nos lèvres se collent une fois que le péché est consommé. J'ai perdu le contrôle et c'est trop tard. Trop tard parce que l'émotion d'enfin assouvir ce fantasme éternel me transperce de part en part et me laisse dans l'incapacité de faire autre chose que de savourer ce baiser. 

Dans la même équipe [girlxgirl]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant