S'envoyer en l'air

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Gabriel ne pouvait pas toucher plus le fond qu'à cet instant. Et alors qu'il n'avait pas encore détourné son regard de son hublot, il s'accrocha à son dernier espoir de s'être trompé sur la personne à qui appartenait cette voix. Il serra sa main sur l'accoudoir comme pour lui donner le courage qui lui manquait avant de doucement faire face à son nouveau voisin de siège.

Il n'avait jamais été aussi proche du visage de son adversaire. Il avait beau l'avoir vu de nombreuses fois à la télévision ou bien à l'autre bout d'une table lors d'un débat, il n'avait jamais remarqué la profondeur des yeux du jeune homme et encore moins les grains de beauté qu'il avait. Le voir à cette distance le rendait un peu plus humain.

« J'attends toujours votre réponse. »

Enfin, s'il n'avait pas ouvert la bouche, peut-être que cela l'aurait rendu un peu plus humain.

Gabriel leva les yeux pour croiser le regard d'une hôtesse de l'air, bien déterminé à fuir cet homme, mais plus encore, à fuir le fait que, pendant quelques secondes, le mot « adversaire » s'était effacé du front de Bardella.

« Excusez-moi, serait-il possible de changer de siège ? »

Cette phrase était plus qu'une demande, mais bien une supplication, preuve du désespoir que portait Attal.

« Je suis désolée, mais le vol est complet. »

Le sourire de politesse qu'Attal arborait s'effaça doucement avant de complètement disparaître lorsque son regard se posa de nouveau sur le visage de son adversaire. Et alors qu'il vit que celui-ci s'apprêtait à parler de nouveau, il vint l'arrêter dans son élan.

« S'il vous plaît, ne dites rien de plus. Est-ce que vous pouvez au moins vous taire pendant quelques minutes ? Je sais que vous aimez parler pour ne rien dire, mais je n'ai aucune envie de débattre avec vous alors que nous nous trouvons à 20 cm l'un de l'autre. »

S'exclama Gabriel tout en soupirant. Il avait tant de fois fui le silence, mais à cet instant, c'était la chose qu'il souhaitait le plus.

« Je ne sais pas comment vous pouvez croire ce que vous dites, dans le contexte où je suis celui qui a gagné les élections européennes et que vous, vous les avez misérablement perdues. »

Gabriel était maintenant sûr qu'il n'était pas le seul à voir cette sorte de face-à-face entre les deux hommes qui allait au-delà de leurs partis respectifs.

« De plus, peut-être qu'à cette distance, pour la première fois, vous n'oserez pas me mentir. »

Ajouta Bardella, sourire aux lèvres.

Chaque seconde qui s'était écoulée depuis le début de leur rencontre ne justifiait qu'un peu plus l'aversion qu'Attal ressentait envers le jeune homme. Les médias auraient beau mettre en parallèle chaque détail de leurs carrières, aux yeux de Gabriel, rien ne serait jamais similaire entre eux.

Bien qu'ils soient tous deux assis côte à côte dans cet avion, bien qu'ils soient tous deux représentants de leurs partis, ils ne se trouvaient pas à cette place pour la même raison. Et c'est justement cette différence qui les rendait, au-delà de leurs partis, adversaires.

« J'avais oublié que vous n'obéissez qu'à Marine Le Pen. »

« J'avais oublié que sans Emmanuel Macron, vous n'auriez jamais eu la possibilité de m'adresser un seul mot. »

Attal ne devrait pas être touché par ces dires. Après tout, celui qui était plus enclin à penser cela ne pouvait qu'être son ennemi. Pourtant, peut-être à cause de la fatigue, il sentit son être entier se crisper et, bien qu'il eût l'habitude de garder une attitude mature et positive, quelque chose l'empêchait de jouer ce rôle.

« Parce que vous pensez que si vous ne répétiez pas chaque mot que Marine Le Pen vous souffle, vous seriez ici ? La seule fois où vous avez essayé, vous avez cité CNEWS. »

Les deux hommes venaient ensemble de pénétrer une sphère coupée du monde, où ils ne pouvaient détruire petit à petit qu'eux-mêmes.

« Je ne sais pas où vous trouvez le culot de dire cela quand le but de votre vie est de n'être qu'une pâle copie de votre cher président. »

Le ton montait entre Bardella et Attal, continuant un peu plus de les isoler du reste de l'avion, au point que ni l'un ni l'autre ne s'était rendu compte qu'ils se trouvaient maintenant au milieu des nuages depuis déjà un moment. « S'envoyer en l'air » prenait ici une tout autre définition.

Alors que Gabriel cherchait un moyen de contrer une nouvelle fois les faibles arguments de son opposant, des secousses inhabituelles vinrent secouer l'ensemble du cockpit. Ce qui n'était qu'un faible secouement se transforma en quelques secondes en turbulences. Et entre l'annonce des hôtesses de l'air et les bips répétitifs demandant aux passagers d'attacher leurs ceintures, Attal n'avait maintenant aucune envie de continuer à passer ses peut-être dernières minutes de vie à penser à Bardella.

Attal serra fermement de sa main droite l'accoudoir, espérant tant bien que mal que la peur qu'il ressentait ne se voyait pas sur son visage. Être à côté de son adversaire était suffisant, il n'allait pas en plus lui donner le plaisir de voir ses faiblesses. Ce serait comme se pousser à sa propre fin, enfin si le crash de l'avion ne le faisait pas avant.

Plus l'avion tremblait, plus des cris résonnaient dans celui-ci et il ne manquait plus que cela pour que le Premier ministre ait l'impression que son cœur pouvait à tout moment sortir de sa poitrine.

« Ne pas pleurer », étaient les mots qu'il se répétait en boucle.

Jordan, de son côté, ne semblait nullement touché par la situation. Ces perturbations étaient toujours plus agréables que d'entendre Attal lui dire une nouvelle fois qu'il n'était qu'un automate fabriqué par Marine Le Pen. Il l'avait déjà entendu assez de fois, il l'avait déjà lu assez de fois, il l'avait déjà cru assez de fois. Plus que cela, il souhaitait profiter goulûment de la nouvelle vue qu'il avait, soit un Premier ministre en détresse qui n'avait cette fois personne à qui tenir la main.

Pour autant, quand ses yeux rencontrèrent ceux de Gabriel, la seule chose que Bardella pouvait voir était la manière dont le regard du ministre criait pour demander de l'aide. Et malgré son plan initial, il ne ressentit aucun plaisir.

Pris d'une force inconnue, il vint tendre sa main vers celle du jeune homme avant de la tenir fermement. Alors qu'il se réjouissait que personne ne tende une main au jeune homme, il avait fini par être celui à le faire.

Gabriel fut plus que surpris de sentir la main de son adversaire sur la sienne, ce qui provoqua un mouvement de recul, laissant le froid de la bague de Jordan caresser le dos de sa main.

« Laissez-moi vous aider. »

Coup de politique (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant