Notre nostalgie

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(Comme je l'avais écrit au premier chapitre voici la musique que j'ai écouté pendant l'écriture de ce chapitre 🤭: heart to heart de Mac DeMarco)

Cela faisait déjà quelques jours depuis le dernier échange que Gabriel avait eu avec Jordan, et bien qu'il eût de son côté envoyé les informations demandées, il se trouvait toujours en l'attente des siennes.

Il en arrivait presque à penser qu'il avait laissé sans le vouloir pour mort le jeune homme et à une distance encore moindre de penser que peut-être cet accord n'était qu'une ruse, un accord unilatéral, comme les sentiments condamnables qu'il éprouvait, cette fois encore, sans le vouloir.

La question que lui avait posée Jordan ne faisait depuis ce soir-là que résonner dans ses pensées, l'absorbant entièrement dans une déferlante de questions qui, malgré toute sa concentration, ne pouvaient qu'être laissées en suspens, abandonnées de tout espoir d'un jour trouver réponse.

De toute façon, les souvenirs de cette soirée étaient tachés par l'odeur du whisky et les paroles de Jordan troublées par le goût de celui-ci.

« Tu te ronges toujours les ongles ? » 

S'exclama une voix derrière son dos.

Gabriel se retourna, éloignant de ses lèvres sa main comme pris sur le fait d'avoir succombé à deux choses qu'il s'était promis d'arrêter, se ronger les ongles et apercevoir Bardella autrement que sous son titre d'adversaire.

« C'est toujours mieux que la cigarette électronique. »

Répondit le jeune homme, qui, à la vue de Stéphane, avait dissimulé ses pensées derrière un sourire qui ne pouvait le trahir.

« Je n'arrive toujours pas à savoir comment un addict comme toi a réussi à arrêter la cigarette électronique. »

Stéphane s'arrêta à côté du ministre, se laissant à son tour emporter par la douceur du vent qui venait les envelopper.

« Tu sais très bien que c'est grâce à toi. »

Gabriel tourna sa tête vers l'homme qui venait de le rejoindre, observant silencieusement ce visage qu'il connaissait par cœur à force de l'avoir admiré, à force de l'avoir embrassé.

La brise n'était pas la seule qui enveloppait les deux hommes ; la tendresse de la nostalgie l'accompagnait, créant une capsule temporelle où ils semblaient être seuls debout face à la dureté d'une réalité qu'ils souhaitaient tous les deux effacer le temps de quelques secondes.

« Je n'ai pas fait grand-chose, Gabriel. »

La seule raison qu'Attal ait réussi à se séparer de cette mauvaise habitude était le fait qu'il avait été plus addict à l'amour de Stéphane qu'à la nicotine. Mais ces deux dépendances appartenaient maintenant au passé, figées par la froideur du regard de Stéphane et de son toucher devenu glacial.

« N'essaie pas de réécrire le passé, laisse-moi au moins ce bon souvenir. »

Leur histoire était souillée par ce que la politique avait fait d'eux et ponctuée par leur compréhension différente du mot aimer.

« Je veux faire bien plus que te laisser ce souvenir, je veux t'en offrir de nouveaux. »

Murmura Stéphane, conscient du poids de ses dires et avisé que les seuls souvenirs qu'il avait offerts à Gabriel depuis leur rupture étaient submergés par des larmes.

Le ministre se rapprocha du jeune homme, laissant l'alizé mélancolique le pousser à reproduire un tableau qui était exposé dans la galerie de sa nostalgie, de leur nostalgie.

« Je sais. »

Souffla Gabriel tout en repositionnant les lunettes de son ami. Parfois, la guérison ne suffit pas.

« Tu as bu ? »

Demanda Stéphane, provoquant la reprise de l'écriture du présent.

« Bien sûr que non. »

Avait-il une nouvelle fois oublié les phrases que Gabriel lui avait prononcées ?

« Ton manteau sent l'alcool. »

La tendresse de l'atmosphère était maintenant troquée par l'amertume habituelle de leurs échanges. À chaque fois que Gabriel pensait réchauffer ses sentiments, le feu qu'il essayait désespérément de rallumer était soufflé par les mots de Stéphane.

« Vraiment ? Pourtant tu sais que je ne bois pas. »

Jordan ne semblait quitter ni les pensées du jeune homme ni son corps.

Il avait prononcé cette phrase en regardant Stéphane droit dans les yeux ; après tout, il ne mentait pas. Omettre la vérité ne pouvait pas constituer un mensonge mais un arrangement préservant lui-même et son interlocuteur.

« Je sais, c'est justement pour cela que je suis surpris de sentir l'odeur de l'alcool étouffer celle de ton parfum. »

« Parce que tu te souviens de la fragrance de mon eau de toilette ? »

Il était quelque peu étonnant que Stéphane ne se souvenait pas de son dégoût pour l'alcool mais cultivait ses connaissances sur des choses aussi futiles, particulièrement maintenant que cela était inutile.

« Je ne pourrais jamais oublier cela, particulièrement quand celle-ci finissait par déteindre sur mes propres vêtements. »

Le jeune homme parlait d'une période où leur innocence les avait poussés dans les bras l'un de l'autre, lorsque Gabriel pensait encore avoir trouvé la personne qui sécherait ses pleurs et non qui les provoquerait.

« Vous faites quoi encore dehors ? La réunion va bientôt commencer ! »

Cria une voix depuis la porte arrière qui menait au ministère, brisant l'échange privé qui n'avait jusque-là eu pour seul auditeur que la pesanteur du temps.

« Je crois bien que nous avons été découverts. »

S'exclama Stéphane tout en soupirant.

« Effectivement. »

Répondit Gabriel, qui commença à marcher vers le lieu où les deux hommes étaient attendus, s'éloignant un peu plus à chacun de ses pas des messages implicites que portait cette conversation tout en se rapprochant d'un endroit où l'air perdait toute sa tendresse.

« D'ailleurs, avant la réunion, je voulais te demander si tu avais bien eu les dossiers que j'ai posés sur ton bureau. »

S'écria Séjourné, rattrapant comme il le pouvait Attal.

« Oui, je voulais te remercier par ailleurs. »

Avec tout ce qu'il s'était passé, ce dossier avait complètement disparu de sa mémoire. Finalement, peut-être que les deux hommes faisaient la paire, à se négliger l'un et l'autre, même si ce n'était pas au profit de la même chose. Comme ils avaient négligé la fleur de leur amour qui avait perdu ses pétales et sur lesquels ils étaient tous les deux en train de piétiner.

« Je suis sûr que ces informations supplémentaires seront un atout pour ton argumentation. »

Ajouta Stéphane d'un ton enjoué.

« Je n'en doute pas. »

Leur collaboration professionnelle était définitivement plus fiable que leurs sentiments.

Coup de politique (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant