Eviter l'inévitable fatalité du destin

718 40 41
                                    

Le travail était la seule chose fiable pour Gabriel, le seul moyen de parvenir à accomplir ce qu'il avait commencé. Ainsi, à peine venait-il de rentrer dans la salle de réunion que toute distraction qui avait bien pu tenir son regard hors de la trajectoire du destin qu'il s'était choisi, fut forcée de se taire.

Certains diraient que chaque être est victime de la fatalité de l'avenir, mais Gabriel ne souhaitait pas être une seconde de plus le martyr d'un système qui ne lui avait apporté jusque-là que du tort, sacrifiant ainsi sa joie pour un bonheur qui se trouverait qu'au bout des sourires dont son aide serait l'origine.

La table qui se trouvait au centre de la salle était déjà décorée de nombreux membres du ministère et ne semblait qu'attendre les deux hommes comme pièces finales.

« Monsieur Attal, nous n'attendions que vous », s'exclama Macron, pointant de sa main une chaise vide qui se trouvait à ses côtés.

Gabriel acquiesça d'un faible hochement de tête, abandonnant derrière lui Stéphane qui s'installa à l'autre bout de la table, laissant sa froideur se confondre avec celle des mots du président.

Il s'agissait de la première réunion du ministère depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée, et cela pouvait se voir aux cernes que portaient de nombreux collègues ou encore à la posture presque théâtrale que performait le Président.

Parfois, la politique s'apparentait plus à une pièce de théâtre qu'à un roman réaliste. L'acte dans lequel Gabriel jouait ressemblait dangereusement à une tragédie, un affrontement qui ne pouvait éviter un dénouement malheureux qu'il fuyait constamment en retardant du mieux qu'il pouvait l'inévitable. C'était cela choisir son destin.

« Commençons la réunion. »

Trois mots, comme les trois coups annonçant le début de la pièce avant que le rideau ne se lève. Gabriel n'avait plus qu'à se conformer au script que Macron leur avait subtilement soufflé, après tout, si la politique française devait avoir un dramaturge, ce rôle serait occupé par personne d'autre que le Président.

Alors que le ministre portait l'entièreté de son attention sur les sujets en cours de discussion, il sentit un subtil tapotement sur son épaule qui retentissait comme un prétexte pour enfin reprendre son souffle.

« Gabriel, tu veux quelque chose à boire ? J'ai vu que tu n'avais pas eu le temps de passer par la machine à café », murmura sa collègue qui s'était penchée vers lui pour souffler ses mots le plus discrètement possible.

Attal n'avait pas quitté des yeux Macron depuis qu'il était entré dans la pièce, obstruant également sa vision périphérique par chacune de ses paroles. Il n'avait donc à aucun moment pris connaissance de la présence de celle-ci ou même de la présence de quiconque autre que son mentor.

« Oui, je veux bien, merci ! »

La discussion que Gabriel avait eue avec Stéphane avait laissé sa gorge asséchée par l'amertume de leur nostalgie.

« Tu veux quoi ? »

Attal aurait pu demander un café, comme il avait l'habitude de prendre pour survivre face à son cruel manque de sommeil, mais sa raison fut dépassée par quelque chose qu'il ne fallait pas nommer.

« Un Coca zéro, s'il te plaît », répondit le ministre, gardant ses yeux fixés presque obsessionnellement sur chaque geste du Président.

« Tu es sûr ? Je ne t'ai jamais vu en boire. »

Peut-être que Gabriel était toujours sous l'emprise du jugement fatidique de Macron, mais cette phrase était comme une résistance masquée face à une autorité qui lui était imposée. 

Ou était-ce peut-être le moyen de trouver, à travers le goût sucré de cette boisson, un réconfort inavouable.

« Il y a un début à tout », murmura à son tour Attal.

Sans un mot de plus, sa collègue s'éloigna, quittant Attal dans un conflit où il semblait être le seul participant, mais dans lequel pourtant il finirait perdant.

« Après, dans les sondages, nous n'avons que deux points de différence », s'exclama Stéphane tout en pointant du doigt les documents sur lesquels il s'appuyait pour étayer ses propos.

« Il n'y a pas à se contenter d'une différence de, comme vous dites, "seulement deux points". Nous ne pourrons être satisfaits que lorsque l'écart sera creusé en faveur de notre parti »,

répondit le Président d'un ton ferme, rappelant à tout le monde qu'il n'accepterait de leur part qu'un dévouement entier à la victoire, et non une résignation à toute autre place que celle qu'il convoitait.

« Je comprends... »

Stéphane n'eut pas le temps de continuer sa phrase que Macron porta son intérêt sur quelqu'un d'autre. Sans surprise, son dévolu se porta sur Attal, abattant sur lui le poids de son regard.

« Qu'en pensez-vous, Monsieur Attal ? »

Le Président croisa ses mains devant son visage, en attente d'une réponse qui satisferait non son besoin de validation mais son envie narcissique d'avoir à ses côtés une copie de lui-même.

« Je ne peux qu'être d'accord avec vous, et c'est pour cela que je mets tout en œuvre pour nous assurer une campagne victorieuse. »

Le sourire de Macron était la traduction visuelle de son approbation, une approbation que malgré tout, Gabriel ne pouvait s'empêcher d'attraper et de chérir à sa manière. Cette dualité qui l'habitait était sûrement la raison du brouillard par lequel sa raison était parfois aveuglée. Il avait beau essayer de s'échapper, il ne se retrouvait qu'à courir sur place, retenu par rien d'autre que lui-même, condamné à la place qui se trouvait aux côtés du Président.  C'était cela choisir son destin.

Pendant la suite de la réunion, qui épuisait petit à petit l'air respirable d'une atmosphère déjà étouffante, Gabriel se retint de se ronger les ongles en tenant un peu plus fort la canette que sa collègue lui avait apportée, trouvant au contact du métal froid un étrange confort chaleureux.

« Je pense que nous avons établi un plan convaincant. Merci à vous tous d'avoir répondu à mon appel », s'exclama Macron, poussant ainsi ses invités à se hâter d'exécuter le programme sur lequel ils venaient de s'accorder.

Alors que Gabriel comptait suivre le reste de ses collègues, Macron posa sa main sur son bras, figeant instantanément chaque muscle du corps du jeune homme.

« Rendez-moi fier de vous avoir accordé ma confiance, Monsieur Attal », murmura le Président tout en attrapant de la même main la canette qu'Attal tenait entre ses doigts. 

Celui-ci ne présenta aucune résistance face à ce geste, se laissant emporter par l'ascendance à laquelle il faisait face. Après tout, il s'agissait du destin qu'il avait choisi, n'est-ce pas ?

« Vous devriez arrêter de boire cela, il n'y a rien de bon dedans. »

Macron se leva avant de jeter la boisson dans la poubelle proche de la sortie, arrachant au ministre la seule chose qui le tenait éloigné de son stress.

Le fait que celui-ci se sente légitime d'effectuer cette action était une déclaration silencieuse de ce que Gabriel représentait pour lui, ou pire que cela, une métaphore de ce qui pourrait lui arriver.

« Faites honneur à notre parti, faites-moi honneur », ajouta le Président avant de tourner les talons, s'effaçant à chaque pas un peu plus de la vue de Gabriel.

Attal resta assis sur sa chaise, fixant sa main qui se trouvait maintenant vide. La même main avec laquelle il avait signé son pacte avec Bardella, mais également celle avec laquelle il avait trahi la confiance de Macron.

Et à cet instant, il eut l'impression de voir la main de quelqu'un d'autre.

Coup de politique (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant