Sous l'ombre des projecteurs

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Bardella n'avait pu qu'observer impuissant le ministre disparaître peu à peu dans la pénombre de sa solitude. À la seconde où la saveur de ses lèvres avait quitté celle de Gabriel, tout ce que sa passion ardente brouillait réapparut vivement sous ses yeux, remplissant sa vision de la brutalité de l'interdit transgressé.

Bien qu'il soit le seul auteur de l'autorisation qu'il s'était offerte, il se retrouvait maintenant démuni, seul sur le quai de scène, dissimulant du mieux qu'il pouvait son envie de se laisser emporter par la tempête que Gabriel et lui avaient causée.

Ses sentiments semblaient jouer leur dernière symphonie, comme le son strident d'un violon meurtri qui continuait désespérément de trouver ne serait-ce qu'un spectateur pour écouter la musicalité de ses dernières notes.

En reprenant la route par laquelle il était arrivé, une aigreur alourdissait chacun de ses pas, l'incidence d'un désir répréhensible de vouloir être celui qui serait aux côtés de Gabriel lorsque les rayons de soleil éveilleraient sur leur chemin la ville de l'amour. Son envie coupable n'avait pour seul droit que la possibilité de se rassasier de la pensée naïve qu'ils partageaient au moins le même toit étoilé.

La voix de l'homme qui avait terni la douceur de la soirée sonnait comme la remémoration de ce qui animait Jordan. Sa peur de perdre était bien plus asphyxiante que celle de la noirceur infligeant une emprise sur son être. Dans cet accord, le véritable danger se trouvait à travers l'ombre qui se reflétait à la lumière des lampadaires qui se posait sur Bardella.

Ainsi, c'est en marchant, la tête de nouveau droite, sur le sentier de la réussite que Jordan se dirigea vers son appartement, laissant son esprit divaguer paradoxalement sur l'air de la musique qui avait accompagné ses pas de danse.

Peut-être qu'un jour il réussira à arrêter de s'oublier complètement au profit de son parti.

Peut-être qu'un jour il réussira à arrêter de penser que vivre en écoutant ses sentiments soit l'expression d'une faiblesse.

Une fois de retour chez lui, ses mains se sentirent vides, privées du corps d'Attal et du froid d'un verre doré. Du moins, à présent il pouvait transgresser sans ajouter sur la pile de ses remords un des interdits qu'il ne s'était qu'imposé inconsciemment pour acquérir les faveurs d'un jeune homme qui l'avait abandonné sur les berges de Paris.

Dans un soupir, il se dirigea vers son comptoir, laissant la lumière se refléter sur le verre de la bouteille qu'il tenait à présent dans sa main. Une sensation qui, malgré ces quelques jours de sobriété, restait familièrement réconfortante. Il laissa silencieusement les clapotis du liquide doré rythmer le cours de sa solitude avant de trouver compagnie à ses doigts.

Malgré sa froideur, la surface lisse de son breuvage était apaisante et n'invitait qu'un peu plus Bardella à sentir cette sensation sur ses lèvres. Le jeune homme rapprocha le verre de son visage, cédant à la fragrance boisée de sa mauvaise habitude. Et alors qu'il s'apprêtait à renoncer une nouvelle fois à une de ses résolutions, il fut pris d'un mouvement de répulsion en envisageant de tâcher le toucher des lèvres de Gabriel par une des choses qu'il détestait.

Il avait beau sentir le creux dans sa poitrine grandir, il avait beau se convaincre maintes fois que son parti était l'unique chose qu'il devait voir, il avait beau rejeter de toutes ses forces sa faiblesse qu'Attal embrassait de son regard ; Jordan cherchait inlassablement la moindre chose qui pouvait pendant un instant lui rappeler la chaleur de Gabriel.

Peut-être qu'un jour ce désir quittera la place qu'il occupait, sous la poussière, à côté de son envie de rendre fiers ses parents. L'acceptation de la condamnation que portait son cœur réconforterait sûrement le chagrin intérieur que le jeune homme subissait, tout en essuyant les larmes silencieuses de son âme.

Coup de politique (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant