Pour vous

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La ligne de mire que Bardella fixait n'était plus qu'un horizon marin agité et, bien que son visage portât la placidité des mots que l'on posait sur son nom, sa main cherchait inlassablement à capturer la lumière du phare que Gabriel nourrissait de la flamme d'une ferveur éludée.

Il souhaitait presque sentir cette ardeur venir consumer peu à peu sa peau, marquant d'une passion brûlante les sentiments que son cœur inculte n'avait pu prononcer, ignorant du langage employé par les âmes éprises.

Sa sobriété nouvelle troublait d'un goût translucide la vérité qui habillait étroitement le jeune homme, laissant un frisson glisser d'une froideur inconfortable le long de ses convictions déchues.

La réponse susurrée, telle un aveu face à l'écoute investigatrice de Nolwenn, raisonnait comme un mantra énigmatique qui plongeait Jordan dans le labyrinthe de ses pensées intriquées. Privé de toute lanterne, il tâtonnait aveuglément de ses mains un chemin inconnu sur lequel il s'aventurait, malgré la réticence insistante de sa raison, qui semblait à présent dépourvue de toute lucidité.

Trouver la sortie était une quête bien plus difficile que de se contenter du script d'une réalité qu'on lui avait inculquée à coup d'illusions ancrées dans la chair de ses songes. Gagner était toujours une réminiscence constante qui alourdissait chacun de ses souffles, et la fierté induite par son titre imprégnait d'un sentiment écrasant son costume. L'homme ne semblait pas de nature à porter, en plus de son poids, celui du monde.

Et bien que l'hémorragie de son âme martyre tachât de rouge ses croyances, blessé d'une guerre sentimentalement ivre, il n'avait d'autre choix que d'étouffer ses pensées en resserrant d'avantage la cravate qui ornait son cou, tel une décoration dérisoire, mirage d'un présent qui s'écrasait sous la lourdeur de chacun de ses pas.

Jordan, idéaliste désespéré ou plutôt idéaliste borgne, exclu de la vision que peindrait la libération de ses émotions, se trouvait à présent aux côtés des siens, un semblant de repas de famille qui attendait pour plat de résistance le résultat alléchant de ce premier tour des élections.

Un instant qui suspendait sa recherche viscérale d'une vérité qu'il écrirait de sa propre plume, un récit qui porterait la signature du combat invisible entre ses mœurs. Chaque personne autour de lui tenait entre sa main une flûte, poussant le liquide doré à danser au gré des secondes qui s'écoulaient, assoiffée de porter la boisson de la victoire sur leurs lèvres, laissant enfin le pétillement de celle-ci se mélanger à l'effervescence d'une joie si proche.

Les mains de Jordan, vides de toute distraction et pourtant décorées du bijou de son stress, traduisaient le parfum corsé qui embaumait la pièce, et bien qu'il semblât retenir son souffle, non par peur mais par hâte, il ne pouvait qu'être enivré par cette odeur familièrement âpre. Du coin du regard, presque inconsciemment, il observait fixement son mentor ; la réponse à ses efforts ne se trouverait point sous la forme de nombres impersonnels, elle se dessinerait des traits du visage de celle qu'il admirait tant.

Le brouhaha qui effleurait le sérieux de son expression s'essouffla peu à peu avant de venir se ranger aux côtés de la quête muette de Bardella. L'épée de Damoclès, témoin funeste de cette pièce tragique, vacillait à présent, reflétant sur sa lame le compte à rebours qui était apparu sur le grand écran, ainsi que le reflet du destin rougeâtre d'un des deux joueurs amateurs de cette représentation pathétique.

La foule restait figée dans une tension silencieuse, incapable d'attendre d'avantage le plat de leur convoitise, se laissant dévorer entièrement par leur propre impatience. Seul Jordan dénotait, incapable de suivre les notes de la partition jouée par ses collègues, voué à se perdre dans un solo d'une dévotion aiguë et écouté par nul autre que son espoir épuisé.

Coup de politique (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant