Chapitre 4 - La lettre

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Une odeur acre vient me piquer les yeux tandis que j'essaie tant bien que mal de voir à travers la pénombre. La pièce est plus grande qu'il n'y parait. Un large bureau en bois trône au milieu de la pièce. Derrière est encadré une carte maritime jaunie par le temps. J'avance sur la pointe des pieds telle une souris prise au piège. Une imposante bibliothèque remplit tout le mur de droite. Je l'inspecte rapidement sans que mon attention soit retenue par quoi que ce soit de particulier. Je continue jusqu'a atteindre le bureau où plusieurs feuilles sont éparpillées ici et là. Tandis que je les parcours, mes yeux dévient vers les tiroirs du meuble.

Le premier s'ouvre dans un grincement et je ferme les yeux pour contenir la panique qui m'envahit. Respire. Je reprends mon inspection mais de nouveau, ce ne sont que des documents futiles. Je m'attaque alors au deuxième tiroir avec plus d'espoir. Mais malgré plusieurs tentatives, ce dernier refuse de s'ouvrir. Il faut que je trouve un moyen de crocheter la serrure, il cache forcément quelque chose ! Personne ne ferme à clé un tiroir sans raison. Je savais qu'il me mentait !

J'attrape un ciseau et essaie plusieurs angles sans parvenir à bout de la serrure. Je me mords la lèvre pour contenir un juron. Réfléchis bon sang!
Je parcours la pièce du regard. Des plantes sont posés sur le rebord de la fenêtre dans des caches-pots colorés. Et si? Je vais à leur rencontre, tâtonne le fond mais ne sens rien d'autre que le plastic entourant la plante. Je réitère l'expérience sur les autres, mais toujours rien. La dernière se trouve dans un petit pot rayé rouge et blanc. Elle bascule très légèrement lorsque je la tripote alors je la soulève. Une clé se trouve en dessous. Bingo !

Ce tiroir est bien plus ordonné que le précédent. Les feuilles sont classées dans des dossiers soigneusement empilés. Je les sors pour pouvoir les analyser lorsqu'une attire particulièrement mon attention. De grosses lettres ont été écrites à la main. NOAH. Je me hâte de l'ouvrir et y découvre plusieurs lettre expédié depuis l'armée. Cela date déjà d'il y a deux ans. La première parle de sa vie à la Marine, l'organisation entre les gars, la nourriture infecte et de son mal du pays. Mon coeur se serre lorsque je vois mon prénom écrit.

« Sasha et ma mère me manquent plus que tout,
vivement que je rentre pour Noël ».

Une larme coule sans bruit sur ma joue. Je l'essuie d'un revers de main puis passe à la suivante. Cette fois-ci nous sommes en mars, soit deux mois avant sa mort. Noah explique bientôt partir en mission d'entraînement mais attend les ordres du lieutenant pour que l'unité puisse être déployée. En attendant, ils tournent en rond sur une île qui leur sert de QG. Naxos.

Sans réfléchir je fourre la lettre dans ma poche et range les dossiers. Au fond du tiroir se trouve une petite boite et mes jambes menacent de lâcher lorsque je vois le contenu de cette dernière. Des nausées me prenne et je referme à la va-vite l'étui en cuir.
Que s'est-il passé bon sang??
Une hypothèse immerge doucement et ma tête tourne rien que d'y songer. J'ai du mal à respirer et sans vraiment savoir comment je me retrouve assise par terre, la tête blottis dans les genoux. Je calme tant bien que mal ma respiration quand un bruit retentit dans le couloir. J'ai à peine le temps de refermer le tiroir que la porte s'ouvre dans un fracas. Je me colle au creux du bureau entre les deux pieds et plaque ma main sur la bouche. Il parle à quelqu'un au téléphone et semble agité.

- Tu ne comprends pas ! Si elle le découvre, c'est finis !

Mon sang entier se fige quand je comprends que le « elle » en question n'est autre que moi.

- Non non non... Tu ne fais rien ! Je m'en charge, dit-il d'un ton tranchant.

- J'en serais capable. Je ferais ce que j'ai à faire pour qu'elle ne parle pas.

Son ton est glacial. Des larmes coulent sur mes joues lorsqu'il raccroche et repart en un coup de vent. Je ne sais pas combien de temps passe sans que je ne bouge d'un centimètre. Le sang ne passe plus dans mes jambes et une douleur se répand dans ma colonne vertébrale. Mais je ne cille pas. Je ne peux pas. Je n'arrive pas. Mon monde s'écroule et l'énergie me manque. Une idée me traverse l'esprit. Une idée folle mais qui devient la seule évidence qu'il me reste. Je dois fuir.

Je me réveille en sursaut. Mes draps collent à mon corps tout en sueur et mes cheveux plaqués contre mon front. Je m'extirpe et viens ouvrir la fenêtre pour laisser l'air frais de la mer s'infiltrer dans la chambre.

Tous semblait tellement réel ! J'avais l'impression d'être de nouveau là-bas.

Mon coeur s'emballe rien qu'à cette idée et je me force à regarder autour de moi pour me calmer. Me rappeler où je suis. À l'hôtel. À Naxos. Loin de lui.

Cosmos vient déposer sa tête contre moi dans un couinement. Je le caresse perdue dans mes pensées. Je reste comme ça une bonne heure avant de me forcer à bouger.

La douche froide m'engourdis les membres. Je ferme les yeux pour me concentrer sur la brûlure qu'elle produit sur ma peau. Elle a le mérite d'emporter avec elle toutes les mauvaises pensées. Et la sueur au passage.

Lorsque je reviens dans la chambre, j'attrape mon téléphone pour y distinguer l'heure. 7h43. Je baille et vais m'habiller pour descendre au buffet qui débute à 8h.

Tout en mangeant je prépare mon plan d'attaque. Il n'y a pas de temps à perdre. Je griffonne sur un calepin quelques adresses et numéros de téléphone qui pourraient me servir. Il faut commencer par le commencement. C'est pour quoi, aujourd'hui, j'irai à la caserne militaire au nord de Naxos. J'ai déjà repéré un bus qui s'arrête non loin. Je n'aurais plus qu'à longer la côte un bon kilomètre pour y être.

J'emballe quelques croissants dans une serviette et les range discrètement dans mon sac. Cosmos me lance un regard accusateur.

- Quoi? J'aurais peut-être faim...

Nous nous éloignons avant que quelqu'un ne puisse m'interpeller.
Ce ne sont que des croissants Sasha.
Depuis que tout à commencé, je suis bien plus à l'affût, telle une proie cernée qui tente de survivre.

L'arrêt de bus est à quelques minutes de marches de l'hôtel. J'en profite alors pour traîner entre les petites boutiques et les églises orthodoxes. Des fleurs rouges poussent ici et là et rajoutent de la couleur à ce bleu et blanc persistant. Certaines grimpent même sur les hauteurs de maisons accentuant le charme de la ville. J'aurais aimé venir ici innocemment, juste pour profiter de ce que la Grèce a à offrir.

Lorsque le bus s'arrête, je réalise que l'heure de trajet va passer bien plus lentement que je ne l'avais envisagé. Le véhicule est bondé, ne laissant que quelques espaces pour s'accrocher à une lanière en hauteur. Mais c'est l'odeur de sueur et de renfermé qui vient à bout de ma tolérance.

Je calcule mentalement combien de temps cela me prendrait de faire le trajet à pieds, mais cela s'avoue vite impossible. Et si je louais un vélo en ville ?
Le chauffeur, un homme rondouillard avec une moustache à la Mario, s'impatiente en se tortillant sur son siège. Il peste et répète plusieurs fois le mot « malaka ». Dépitée, je prends place entre deux hommes de la taille d'une perche, leurs aisselles bien trop proches de mon visage. Cosmos se fait marcher sur la queue plus d'une fois.

Ça va être long.

L'ombre des vaguesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant