Un rayon de soleil vient me chatouiller le visage et me pousse à ouvrir les yeux. Encore ensommeillée, je bute sur le bas de porte de la cabine et étouffe un juron. La nuit a été mouvementée comme en témoigne les cernes sous mes yeux gris. J'approche doucement de ma destination et la peur me noue le vent, m'empêchant de trouver le sommeil. Était-ce une si bonne idée de venir ici ? Il est intelligent, il finira par comprendre où je me dirige. J'espère juste avoir le temps de trouver ce que je cherche avant... Il est trop tôt pour commencer à paniquer Sasha.
Je me sers une tasse de café et rejoins Cosmos à la poupe du bateau. Le berger australien est déjà surexcité et ne cesse de me ramener son jouet. Il commence à se lasser des 10mètres du voilier...Après un coup de téléphone douteux il y a de ça déjà une bonne semaine, j'ai accéléré la cadence de peur d'être rattrapée. Aucune voix ne s'est manifestée, seule la respiration de l'individu envahissait le combiné. Digne d'un film d'horreur ! Rien que l'idée que ça puisse être lui, j'en ai des frissons.
- Demain, tu pourras courir sur la plage, lui chuchotais-je tout en grattant l'arrière de ses oreilles.
Cosmos ferme les yeux et savoure le moment. Puis telle une pile électrique, il repart de plus belle. Je soupire. La journée va être longue, je ne devrais pas trainer.
Le soleil brule ma peau tandis que je m'attelle à mes taches. Le vent est de face, alors après avoir relevé l'ancre, je démarre le moteur qui ronronne dans un bruit sourd. Lorsqu'on prend de la vitesse j'attrape la drisse pour hisser la voile qui se gonfle rapidement d'air. J'étarque pour que la drisse soit tendue au maximum afin que malgré le vent qui souffle, la tension reste intacte. Je redresse un peu la barre gardant le cap vers le Sud-Est.
- Naxos j'arrive, murmurais-je en fixant l'horizon.
De fines gouttes d'eau se déposent sur ma peau tandis que le bateau surf sur les vagues. Je savoure chaque sensation : mes cheveux blonds dansant au gré du vent, le bruit des vagues se fracassant sur la coque et l'odeur de l'écume se propageant dans mes narines. J'humecte mes lèvres pour y sentir le goût du sel. Ce que j'aime ces sensations ! Cette liberté. Je me sens à ma
place, moi-même.Les heures défilent tandis que le soleil se déplace dans le ciel. Je mets le pilote automatique afin de m'accorder une petite pause. J'en profite pour dévorer les restes de taboulé et de jambon de la semaine. Mes stocks de nourriture sont quasiment vides, il était temps que je retourne vers la terre ferme ! Ce que je rêve d'un lit moelleux, mon dos est cabossé de toutes ces nuits sur le lit de camp. Vivre en mer est une expérience incroyable, mais une expérience éreintante ! D'autant plus, lorsqu'on la vit seule. Mais je ne me plains pas. Je sais qu'un sort bien plus funeste m'était destiné il y a encore peu.
Tu ne peux pas t'empêcher d'y penser bon sang ! Je soupire.
Après plusieurs heures de navigation, j'aperçois enfin le chenal qui mène à l'entrée du port de Naxos. Quelques chalutiers ici et là reviennent avec les filets remplis et les mouettes qui beuglent au dessus de nos têtes. Cosmos les regarde avec un intérêt manifeste ce qui m'arrache un petit rire. Je me charge de ranger les voiles, et à nouveau le moteur nous pousse de son bruit caractéristique.
Le port est plus petit que ce que je pensais. Il est divisé en deux parties. A ma gauche, un ferry est amarré près de la Tour de Transfère qui se continue par un renfoncement. Des bateaux côtiers de toutes tailles y trônent. Quant-à ma droite, je remarque que le renfoncement abrite principalement des bateaux de pêches.
Où aller?
Je me décide à la dernière minute, braquant à gauche de toutes mes forces, manquant de peu le béton de séparation. J'ai le droit à des regards noirs d'autres marins à qui je lance un petit sourire d'excuse. Ils dévient la tête, d'un air agacé. Et ben, où est passé la joie de vivre Grecque tant renommée? Sûrement perdue aussi loin que la mienne...
Je contourne une charmante petite chapelle blanche trônant au milieu de la marina puis doucement, me rapproche du ponton. J'attache l'écoute a l'anneau fixé au sol et tire pour vérifier que le noeud tient comme il faut. Parfait !Je balaye des yeux le paysage autour de moi. Malgré mon amour pour la mer, quel soulagement d'être sur la terre ferme !
Cosmos aboie dans mon dos mais je n'ai pas le temps de cligner des yeux qu'il saute déjà sur le béton chaud, tout heureux. Je ne suis pas la seule apparemment.
J'attrape mon sac en bandoulière avant de le rejoindre. Des marins me saluent tandis que je longe les bateaux pour rejoindre la capitainerie. C'est en faite un petit kiosk posté au bord du port qui ne paye pas de mine. Bon...Première impression, tu peux faire mieux.Une jeune femme à la peau mate et les cheveux noirs relevés en une queue de cheval m'accueille avec un grand sourire. Des rides apparaissent au bord de ses yeux mais contrairement aux femmes du continent, cela lui apporte un charme.
- Kalimera, que puis-je faire pour vous ? me demande-t-elle dans un anglais fluide.
- J'ai accosté mon voilier dans la marina et j'aimerais y rester quelques jours...
- Aucun soucis, répond-elle en baissant les yeux sur un petit calepin. Combien de temps resterez-vous ?
- C'est-à-dire que... je... Hum...
- Vous pouvez toujours revenir me voir pour prolonger la durée.
Son ton est doux et un petit sourire d'encouragement se dessine sur ses lèvres.
- Disons une semaine, dis-je tandis qu'une vague d'angoisse se répand à travers mes veines.
Rester au même endroit aussi longtemps c'est l'inviter à me retrouver. Mais je n'ai pas le choix. Je le savais en partant vers les Cyclades, il est trop tard pour faire machine arrière. Ce n'est pas le moment de flancher...
- La nuit coute 25€, cela comprend l'accès aux douches et toilettes du port.
Je hoche la tête. Ma mère a mis beaucoup de côté depuis un an. Je sais qu'elle voudrait que je l'utilise pour trouver la vérité, alors je chasse la culpabilité lorsque je lui tends les billets.
Une fois tout réglé, nous retournons au voilier. Sa coque blanche et bleue flottant tranquillement dans l'eau est barrée sur le coté droit d'une inscription. Chelóna. Cela veut dire tortue en Grec. Mon estomac se serre tandis que je réalise. Il y a décidément un lien plus important que ce que je pensais entre Noah et cette île ! Tout me ramène ici...
La tête dans mes pensées, je prends du temps à remarquer qu'un inconnu se tient en face de moi, fixant le bateau. Je ne peux distinguer son visage. Sa peau est halée et ses cheveux bruns légèrement bouclés, virevoltent sous la brise. Sa posture semble décontractée, les mains dans les poches de son short gris. Pourtant je perçois la bosse de ses biceps ainsi que sa mâchoire légèrement crispée. Bizarre.
Tandis que je me rapproche, l'inconnu se retourne vers moi. Deux billes noisettes avec une touche de vert me fixe maintenant intensément. Une sensation de chaleur se propage dans tout mon corps et mes poils s'hérissent. Reprends toi Sasha! Je toussote pour m'éclaircir la gorge mais l'homme me devance.
- Joli bateau.
Sa voix est grave et laisse apercevoir un léger accent grec. Je me fige. Tant de questions se bousculent dans ma tête que je n'arrive pas à m'attarder sur une.
Puis soudain il sourit doucement. Et une impression de déjà-vu me submerge. Ais-je déjà croisé cet homme dans le passé?
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L'ombre des vagues
RomantizmSasha fuit depuis 68 jours sa ville natale à bord de son voilier, espérant tant bien que mal semer le démon à qui elle a ouvert sa porte. Mais plus que ça, elle cherche des réponses. La mort de son frère qui paraissait un simple accident dramatiqu...