Chapitre 29

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Théo était au courant du fait que l'on avait essayé de l'appeler. Il avait reconnu les vibrations significatives de son téléphone dont il avait éteint le son, de sorte... A déranger Liam le moins possible. Le pauvre sursautait au moindre bruit sans pourtant sembler être présent. Il avait encore à subir le vibreur du téléphone de son ami, mais en termes d'intensité sonore, cela n'avait rien à voir avec sa sonnerie au son quelque peu nasillard – son téléphone portable n'était pas en excellent état. En somme, Théo avait conservé son vibreur pour rester joignable et décrocher rapidement.

Mais la situation actuelle l'empêchait de se tourner vers son cellulaire posé par terre, à deux pas de lui, qui restait accroupi devant le canapé. Il n'arrivait pas à quitter le chevet de Liam, cet ami qu'il avait l'impression de ne pas reconnaître tant il était... Différent, tant il avait perdu de sa superbe, de ses couleurs, de son âme. Liam lui donnait l'impression de n'être plus qu'une coquille vide qui tremblait de temps à autres mais qui, mis à part cela ne bougeait pas d'un pouce.

Très honnêtement, Théo ne savait pas quoi faire à part le regarder, complètement perdu. Il voulait tenter quelque chose pour le sortir de sa torpeur... Mais quoi ? Rien ne semblait capable de pouvoir l'atteindre et... Il était si différent du Liam qu'il connaissait qu'il était difficile pour lui de savoir sur quoi tabler. Alors, Théo finit par s'isoler dans sa salle de bain pour réfléchir un peu, dans l'espoir de trouver quelque chose. Et le temps passa, si bien qu'il soupira en regardant l'heure, laquelle lui donna une idée.

Il ne serait peut-être pas complètement idiot de tenter de le faire manger... Au moins pour l'aider à bouger, essayer d'obtenir un semblant de réaction de sa part. Puis il partait du principe que reprendre des forces pouvait faire du bien à n'importe qui – ou presque. Il s'agissait cependant là surtout d'une chose qu'il espérait parce que... Eh bien, il n'avait pas grand-chose d'autre. D'ailleurs, il faudrait aussi qu'il songe à regarder son téléphone pour savoir qui l'avait appelé. Mais c'était secondaire, tellement secondaire par rapport à Liam...

Ainsi, Théo s'arma de courage et s'en alla voir ce qu'il avait dans son frigo. Il trouva, par chance, un reste de pâtes à la bolognaise. Il préparerait quelque chose de mieux ce soir, si l'inspiration lui venait et si... Le nœud qui s'était formé au creux de son ventre se faisait plus discret. Difficile de trouver quoi faire d'appétissant lorsque l'angoisse nous chevillait au corps. Théo n'arrivait pas à se défaire de l'air à la fois craintif et absent de Liam, son visage connu pourtant si différent de celui qu'il avait l'habitude de regarder. Alors c'est avec une appréhension sans pareil qu'il reparut dans le salon, l'assiette dans la main gauche, des couverts dans la main droite. Il déposa le tout sur la table basse et darda sur Liam un regard dans lequel il était impossible de manquer l'angoisse qui l'habitait. Comment lui demander s'il serait d'accord pour manger un peu ? Son ami avait-il seulement faim, dans son état ? Théo savait au fond de lui que ce n'était pas le cas, que Liam... Ne pensait en ce moment pas à des choses aussi triviales que celle-ci. Il se repassait sans doute le film de ses plus récents traumatismes en boucle, traumatismes dont la chimère se doutait de l'existence, sans pouvoir les nommer clairement. Son instinct s'alarmait mais une part de son esprit y était aveugle, presque hermétique. Ce n'était pas faute de lutter pour y voir plus clair.

Théo se racla la gorge.

- Liam ? Tu veux manger un peu ?

La chimère pesta contre elle-même devant sa piètre tentative rendue d'autant plus pathétique à cause de sa voix peu assurée et très parlante quant à son propre état moral actuel. Il ne savait pas sur quel pied danser et à chacun de ses pas, avait l'impression désagréable de marcher sur des braises ardentes. Il ne savait pas s'occuper de quelqu'un d'autre que lui-même... Et n'avait jamais eu l'occasion de le faire jusqu'à présent. C'était d'autant plus délicat qu'il commençait à peine à connaître Liam comme il se devait et que son état lui paraissait véritablement alarmant. Enfin, il le sentait toujours mais continuait à ne pas pouvoir mettre le doigt sur le mot adéquat, idem pour son sens.

Le regard que Liam lui accorda fut très bref et brillant malgré le fait qu'aucune larme ne faisait son nid dans ses adorables yeux bleus actuellement. Théo crut un moment qu'il n'allait pas lui répondre, mais un pauvre « non » finit par s'échapper d'entre ses lèvres tremblantes. La chimère se mordit la lèvre inférieure en songeant au fait qu'il était presque rassuré de l'entendre parler, même pour simplement refuser son attention... Parce que cela signifiait qu'il l'entendait, le comprenait. Qu'il était redevenu plus ou moins lui-même. Pour combien de temps ? Se demanda-t-il avec horreur. Parce qu'il avait l'impression que si Liam était de retour, ce n'était pas de façon définitive. Il avait le regard fuyant, teinté d'absence, de folie... La folie du mal-être qui le consumait goulûment. Elle le bouffait comme une angoisse permanente, une maladie insidieuse, créatrice de métastases mentales. La seule chose que Théo put comprendre, c'est qu'elle finirait par le tuer si rien n'était fait pour l'aider.

Cette pensée lui fit si mal qu'il peina à stabiliser les battements de son propre cœur, lesquels s'étaient soudainement emballés. Il se leva soudain, s'empara de son téléphone sans crier gare et s'isola à nouveau dans la salle de bain. Bordel, il lui fallait de l'aide... Parce que même si la vérité était difficile à avaler, elle restait claire : il ne pourrait pas aider Liam. Du moins pas de cette façon, et pas seul. Il n'avait strictement aucune idée de quoi faire et la seule chose qu'il avait tentée n'avait servi à rien – d'autant plus qu'il n'avait pas osé insister. Liam lui paraissait si mal en point qu'il n'avait tout simplement pas pu s'y résoudre. Il ne voulait pas lui imposer quoi que ce soit. Tout ce qu'il désirait, c'était réduire l'ampleur de ses tremblements, le soulager de ses tourments les plus violents. Sauf qu'il n'était pas doué pour la discussion et qu'il n'apprenait que depuis peu à être une bonne personne. Alors autant ne pas jouer avec le feu, mettre son ego de côté et maximiser les chances de sauver son ami de la noirceur qui le dévorait de l'intérieur.

Théo découvrit avec surprise un appel manqué de Derek. Il datait d'à peine quelques minutes et le jeune homme fit tout de suite le lien avec les vibrations qu'il avait ignorées. Saisissant sa chance – ou espérant qu'il ne l'avait pas gâchée en l'ignorant un peu plus tôt –, il s'empressa de rappeler l'ancien alpha le cœur battant, l'angoisse lui bouffant les entrailles avec une voracité toute particulière. Il avait le sentiment que le temps était compté et que chaque seconde qui passait participait à former un gouffre béant dans le cœur de Liam, dont l'odeur était si fortement nauséabonde qu'elle lui parvint malgré la distance. Théo n'arrivait même plus à dissocier les différentes composantes de cet atroce parfum – impossible pour lui de décrire la moindre de ses émotions originelles. Olfactivement, il était aveugle et il s'agissait d'une chose particulièrement difficile à appréhender dans la mesure où il convertissait en des images tout ce qu'il sentait, de sorte à facilement les comprendre.

- Raeken ?

Théo était tant perdu dans ses réflexions désagréables que la voix de Derek, rendue légèrement grésillante par le réseau bancal de son appartement, le ramena bien brusquement à la réalité.

- Où est Liam ? L'entendit-il demander.

La chimère ne perdit pas de temps. La réponse sortit toute seule, comme si elle était déjà prête depuis un moment :

- Chez moi.

Bref silence. L'estomac de Théo se noua.

- J'arrive, entendit-il.

Behind His MaskOù les histoires vivent. Découvrez maintenant