Septième virage

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Septième virage.

La mâchoire de Knife se crispa.

— Si j'en parle, je vais switch. J'ai déjà du mal à... argh...

Knife serra les poings sur ses cuisses. Il ressentait la présence d'un alter sur le point de front, mais tentait de résister pour poursuivre la discussion.

— C'est un trigger ? demanda Virus par simple curiosité.

Il essayait de comprendre de toutes ses forces.

— Tu le fais exprès ou quoi ? Si tu veux en savoir plus, utilise ton putain d'ordinateur !

— J'ai essayé ! Mais je ne suis pas certain d'avoir tout compris.

Knife soupira.

— Je n'aime pas parler de cela, alors je serai bref. Quand un individu subit des traumatismes violents dans l'enfance, il arrive parfois que son identité se fracture en plusieurs fragments ayant chacun un rôle précis et leurs propres souvenirs. C'est un mécanisme de protection du cerveau pour affronter les événements à l'origine du traumatisme et permettre à l'hôte de fonctionner plus ou moins normalement.

Il marqua une pause avant de reprendre. Parler de son trouble à la troisième personne l'aidait à moins dissocier.

— J'utilise ce journal pour tenter de faire sens de tout cela, savoir ce que j'ai fait durant le jour, si j'ai déplacé un objet, si j'ai mangé, un tas de trucs bêtes, finit-il par dire, mais ça ne fonctionne pas toujours.

C'était agaçant, car il lui arrivait parfois de commencer un livre, puis de se rendre compte que celui-ci était bien avancé sans avoir aucun souvenir de ce qu'il venait de lire. Ou de se retrouver au beau milieu d'un carnage sanguinolent après une mission sans se rappeler des événements qui s'étaient produits.

Le jeune homme aux cheveux bleus était suspendu aux lèvres de son interlocuteur. Il n'avait jamais entendu parler de ce trouble avant de découvrir le journal de Knife et d'effectuer des recherches internet. Aussi, il avait pas loin d'un milliard de questions à poser, mais essayait de se contenir pour ne pas agacer davantage son vis-à-vis. Quel genre de traumatismes avait-il subi ? Comment s'était-il rendu compte qu'il avait ce trouble ? Et qui était au courant ?

Mais conscient que ces interrogations risquaient de déplaire à Knife, il posa une tout autre question.

— Ça se guérit ? interrogea Virus avec curiosité.

Ce ne devait pas être facile de vivre avec un tel trouble. Aussi se demandait-il s'il y avait des possibilités de guérison.

Knife secoua la tête.

— Non, répondit-il froidement. Dans certains cas, les alters d'un système parviennent à fusionner entre eux, mais quand le cerveau a appris à se fragmenter de la sorte, il aura tendance à le refaire.

— Oh... je suis désolé, murmura Virus du bout des lèvres.

— Garde ta pitié pour toi, rétorqua sèchement Knife.

— Ce n'est pas... !

Virus voulut se défendre pour apaiser les tensions, mais devant le regard furieux de son interlocuteur, il préféra s'interrompre au beau milieu de sa phrase.

— Il y a quelque chose que je peux faire pour aider ? demanda-t-il à la place.

— Disparaître.

Virus déglutit.

— Danger va me rouler dessus si je fais ça.

— Qu'est-ce que tu veux que j'en ai à foutre ?!

Le plus jeune roula les yeux. Franchement... qu'est-ce qui empêchait l'autre d'être plus sympa ?

— Je ne vais pas partir juste parce que tu le demandes. Si tu as un problème avec ma présence, c'est à Danger qu'il faut te plaindre. Je partirai s'il me le demande.

Knife se renfrogna.

— Tu n'as pas conscience du danger.

Virus fronça les sourcils.

— Toi non plus ! Et si tu tombais sur un coin de table pendant une crise de somnambulisme et que tu te vidais de ton sang sans le savoir ?!

— C'est pour ça qu'il y a une foutue paire de menotte accrochée à mon lit.

— Alors pourquoi tu ne la mets pas ?!

Knife haussa les épaules.

— Parce que tu es là et que je dois bien y trouver des avantages. Dormir avec ce truc est inconfortable. Mais ce ne sont pas les premières nuits que je passe seul.

— Mais tu es blessé cette fois, c'est différent ! insista Virus.

— Wolf va me tuer s'il t'arrive un truc.

— Qu'est-ce que Wolf vient faire dans cette histoire ?!

— Il tient à toi. Il m'en voudra si je t'abîme.

Virus désigna la marque rouge sur son cou :

— Eh bien... trop tard on dirait.

— C'est moi qui... ?

Il ne finit pas sa phrase. Les yeux de Knife parcoururent son cou, puis se figèrent. Le biker aux cheveux rouges grimaça, puis ferma les yeux en se pinçant l'arête du nez de sa main. L'alter en co-front depuis le début de sa discussion avec Virus venait de prendre le dessus.

— Assez joué, silence maintenant si tu ne veux pas qu'il t'arrive d'autres bricoles.

Virus frissonna. Même la voix de Knife sonnait légèrement différente, comme plus rauque. Quel avait été le trigger cette fois ? La blessure ? Si Virus apprenait à connaître les déclencheurs, il se disait qu'il pourrait peut-être tenter de les éviter afin de prévenir les switch et de naviguer à-travers tout cela sans trop de difficulté.

— Tu n'as toujours pas compris, hein ? demanda-t-il avec un rictus. Je suis un alter protecteur. Mon rôle est de protéger Knife et le corps. Je le protège des attaques physiques lors des missions, mais je le tiens aussi éloigné de tout ce qui peut déclencher ses traumatismes.

— Mais c'est toi qui m'as fait ça, se justifia Virus avec énervement.

— Fait quoi ?

Virus désigna à nouveau sa gorge violacée. Son interlocuteur fronça les sourcils en secouant la tête.

— Ce n'était pas moi. Je ne me souviens de rien.

— Comment ça ?

Knife soupira.

— Depuis quelques mois, nous soupçonnons la présence d'un nouvel alter dans le système... mais il ne s'est toujours pas présenté. Je ne sais pas qui il est ni quel est son rôle. Mais je pense qu'il front assez souvent, car les amnésies sont de plus en plus fréquentes. Si tu dis qu'il est violent, c'est sans doute un persécuteur... Il n'a peut-être même pas conscience d'être dans unsystème.

Virus écarquilla les yeux.

— Alors... c'est pour ça le profil avec les points d'interrogation dans le journal ?

Enfin, les pièces du puzzle paraissaient s'assembler.

— Un conseil : ne t'approche plus de ce journal. Jamais

VIRUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant