Chapitre 14

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J'étais assise au bureau de Elyo, corrigeant les copies de Chiara et Gianni. Elyo n'avait pas voulu que je bouge, prétextant qu'avec mon malaise, il fallait que je retrouve des forces. Il restait alors là, à me surveiller comme si j'avais cinq ans. Les heures défilaient mais les cahiers s'amoncelaient sans fin dans un flot interminable. Les fautes s'enchaînaient, des ratures barbouillaient les pages, et je devais sans cesse réprimer mon agacement grandissant. Cette insatisfaction latente ne faisait que nourrir la sourde angoisse qui m'étreignait l'estomac.

Car en plus de cette lassitude, mon estomac se mit à gargouiller bruyamment, ses gargouillis sonores venant rythmer mes corrections d'une sinistre musique. Je n'avais rien avalé depuis des heures, le chocolat chaud étant un lointain souvenir.

J'ai tellement faim ! pensai-je, mes pensées dérivant vers les plats roboratifs qui garniraient bientôt les assiettes du dîner.

Mais une petite voix intérieure résonna soudain avec force dans mon esprit.

Ne mange pas trop ! C'est juste de la gourmandise !

C'était ma mère qui me revint en mémoire, avec ses remontrances perpétuelles sur mon appétit d'alors.

Sale grosse vache, regarde la taille de tes cuisses ! Tu n'es qu'une gourmande sans volonté !

Je secouai la tête, agacée par ces souvenirs devenus une habitude, un cercle vicieux sans fin. La faim faisait rage, me tiraillant de douloureuses crampes d'estomac qui me tenaillaient les entrailles. Mais d'un autre côté, la peur de grossir et les mots de ma mère m'angoissaient tout autant.

Juste quelques bouchées pour me caler, tentai-je de négocier avec moi-même, tout en repoussant mon bureau pour me lever.

Mes jambes flageolantes me conduisirent presque malgré moi jusqu'à la cuisine.

Devant le frigidaire grand ouvert, les tentations surgirent en un parfum de fête. Biscuits croustillants, gâteaux fondants, restes de pâtes ou de pizzas aux arômes encore chauds... Toutes ces merveilles mettaient mes sens en ébullition. Ma détermination s'effrita peu à peu tandis que les effluves emplissaient mes narines de leurs parfums gourmands.

Soudain, la voix pleine de reproches de ma mère résonna à nouveau dans mon esprit :

Alors c'est reparti, tu vas tout englouter comme un porc ? Tu deviendras grosse et personne ne voudra de toi !

Cette injonction acide, je l'avais entendue des centaines de fois durant mon adolescence. A chaque fois que je cédais à la gourmandise, ma mère était là pour me rabaisser et me blesser avec ses mots cruels.

Finalement, je ne pus résister davantage à la tentation malgré ces résurgences. Je m'empiffrai sans retenue, comme si c'était le dernier repas de ma vie. Enfournant les dernières bouchées quasi sadiquement, savourant jusqu'au bout ce plaisir capiteux malgré la voix désapprobatrice de ma mère qui résonnait en boucle. Quand enfin la satiété se fit sentir et que mon estomac hurla grâce, je repoussai mon assiette vide avec dégoût.

Comment avais-je pu à ce point perdre le contrôle ? Me laisser dominer ainsi par mes bas instincts alors qu'enfant, cela me valait d'incessantes remontrances ? La honte et le dégoût m'envahirent tandis que je contemplais d'un oeil éteint les reliefs de mon festin pantagruélique.

Grosse vache ! cingla la voix pleine de mépris de ma mère dans mon esprit. Tu n'es qu'une gourmande sans la moindre once de volonté !

Des larmes de rage et de frustration montèrent à mes yeux. Combien de fois avais-je sombré ainsi dans les affres de la gourmandise pour ensuite culpabiliser et me haïr, la voix acerbe de ma mère résonnant sans cesse dans ma tête ?

The Price of SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant