- Chapitre 66 -

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Mercredi 2 juillet 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.



Dans l'arrière-salle, Ethan prenait de profondes inspirations. Il n'avait pas tenu beaucoup de discours au cours de sa carrière et celui qui s'annonçait lui liquéfiait les tripes. Ce n'était pas tant de parler face à ses élèves – il le faisait au quotidien depuis quelques années. Ni de s'ouvrir sur un sujet grave sous le regard de ses collègues et de sa direction ; après tout, ils l'avaient accompagné dans la rédaction du texte. Ce n'étaient pas non plus les parents qu'on avait installés sur des chaises pliables sur les côtés de la salle de conférence du Centre.

C'était de devoir faire face à toutes ces émotions. Celles des élèves, des collègues et des parents. Ce nuage d'anxiété, de colère, de tristesse, de révolte. Absorber leurs peines dans un espoir de rédemption personnelle. Et Ethan n'était pas certain d'en avoir les épaules, même si l'idée venait de lui.

À travers la cloison qui le séparait de la scène, Ethan percevait la voix de Ryan Scott. Le directeur de l'École était plus enjoué que lors de son dernier discours. Après tout, il célébrait les diplômés, les lycéens qui avaient officiellement validé leurs examens physiques et théoriques. Les quatre-vingts élèves, moitié du cursus général, moitié du cursus S.U.I, lançaient parfois des exclamations enthousiastes en réponse à une remarque de M. Scott.

Après le discours cérémoniel de la direction et des professeurs était prévue une après-midi de détente et de festivités, aussi bien pour les parents que pour les élèves. Pendant que tout le monde était réuni dans le Centre, quelques collègues d'Ethan avaient investi la cour pour installer des buffets et des tables chargées de boissons sous l'abri du préau. Une petite estrade avait été montée pour les étudiants à la fibre musicale ou humoristique, des zones d'activités parsemaient le reste des lieux pour divertir les élèves une dernière fois. On leur avait également ouvert le stade d'athlétisme ainsi que le gymnase pour ceux qui n'étaient pas assez rassasiés d'activités sportives.


Ethan recracha à moitié la gorgée d'eau qu'il venait d'avaler lorsqu'une main s'abattit lourdement sur son épaule.

— J'allais te demander si tu n'es pas trop stressé, mais j'ai ma réponse, marmonna Manuel en zieutant les taches que venait de se faire Ethan.

— Vous ne pouviez pas me dire bonjour normalement ? soupira Ethan en agitant le col de son polo dans un vague espoir de le sécher à temps.

Bonjour, Ethan. Comment vas-tu ? Ta vessie n'est pas trop fébrile en ce pré-discours ?

Comme son cadet lui adressait un regard mauvais, Manuel Cross ricana. Il s'empara de la bouteille d'eau de son collègue et la déposa sur une caisse de rangement à proximité.

— Bois pas trop, tu vas vraiment te remplir la vessie. (Comme Ethan lorgnait par l'ouverture qui donnait sur l'estrade, Manuel ajouta d'une voix plus sobre :) Tu es très courageux de faire ça. Ce n'est pas ta responsabilité et pourtant, tu...

— C'est ma responsabilité, l'interrompit Ethan avec un regard grave dans sa direction. J'étais l'un des profs encadrants du projet Réseau. J'ai failli à mes élèves. Ma propre famille a provoqué le décès de certains de leurs camarades, de Mino ou de recrues-Fantômes.

— Dans ce cas, je suis responsable aussi, Ethan. J'étais un autre prof encadrant. Et si tu commences à t'attribuer tous les torts des Sybaris... Tu n'es pas près de revoir la lueur du jour, mon ami.

Même sa bienveillance, rarement exprimée ouvertement, ne dérida pas son collègue. Ethan secoua la tête, convaincu de la nécessité de son intervention. Il en rêvait la nuit depuis des semaines. Redoutait et attendait cette confrontation. Avant d'espérer revoir la lueur du jour, il devait déjà calmer l'orage qui hurlait dans son cœur.

S.U.I - Tome 2 : Black & WhiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant