- Chapitre 64 -

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Mercredi 28 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.



Ryusuke se laissa mener par la foule. Même s'il dépassait la plupart de ses camarades de 7ème année, il se sentait protégé par leur proximité, par la masse qui gommait son identité, ses pensées. Autour de lui, personne ne parlait vraiment. L'heure n'était pas aux discussions. On chuchotait, on ragotait, on accusait, on espérait, on se questionnait. Le tout dans des murmures, des regards, des coups de menton.

Les élèves de dernière année de S.U.I, du moins ceux qui n'étaient pas grièvement blessés, avaient été conviés à un discours du directeur. Avant que les étudiants puissent débattre sur ce qui s'était passé, Ryan Scott serait le premier à lancer le ton.

Le cœur de Ryu s'emballa alors qu'ils avançaient serrés vers la salle de conférence du Centre. La dernière fois qu'on les avait rassemblés ici, le directeur leur avait donné les dernières précisions sur le projet Réseau. Et ils n'auraient pas dû s'y retrouver avant leur remise de diplôme.

Comme Ryusuke et ses camarades savaient bien pourquoi on les avait convoqués, personne ne souriait. Quelques rires s'échappaient parfois, envolées solaires et spontanées au milieu de l'orage en attente. Si Ryu était incapable de rire, il n'en voulait pas à celles et ceux qui en avaient l'envie et le courage. Depuis qu'il était né, le jeune homme avait été confronté à un cycle perpétuel : à l'implacabilité de la mort, à la hargne de la vie. À la chappe étouffante de la première, aux ailes légères de la seconde.

Alors, à l'orée de son chagrin et de sa peur dévorantes, l'attendait la tiédeur des jours meilleurs. Ryu l'avait assez vécu pour le savoir. Et, par une certaine lâcheté, il n'attendait que ça. La douceur apaisante des jours qui défilent. La morsure faiblissante de la tristesse, du désespoir. La façon dont les crocs lâchaient morceau par morceau sa chair jusqu'à ce que, soudain, il prenne conscience du bonheur simple qui l'animait chaque jour. D'un cœur qui battait sans lui faire mal, de ses poumons qui se remplissaient sans que la culpabilité l'étouffe.

Ryusuke était passé outre la disparition de ses parents. Il avait surmonté la mort foudroyante de son oncle Akira. Affronté aux côtés de Jim la disparition de sa famille. Dépassé l'ébahissement de douleur qui avait suivi le départ de ce dernier à la Ghost Society. Oublié Lily et les autres, leurs sourires et leurs promesses.

La mort de Kaya lui faisait l'impression d'une brique de plus sur son mur de traumatismes. C'était plus lourd, plus dense, plus étouffant. Et, en même temps, le mur qui s'était déjà formé lui assurait de rester stable. De ne pas s'effondrer sous cette tempête.

— Ryu.

La main de Valentina s'éleva vers son épaule en même temps que sa voix. Les deux le guidèrent à travers la foule jusqu'à rejoindre la rangée de sièges sur lesquels s'étaient déjà installés Tess et Jason. Spontanément, Ryusuke se décala de deux sièges pour laisser de la place aux deux retardataires habituels. Quand il se rappela que ni Kaya ni Jeremy ne les rejoindraient aujourd'hui, Ryu se laissa tomber en expirant brusquement.

Ses camarades ne firent aucune remarque à propos des deux sièges vides au bout de leur rangée. À vrai dire, Valentina était trop occupée à le veiller du coin de l'œil, Jason à retenir ses larmes et Tess à ronger ses ongles.

Un mouvement sur sa droite arracha Ryu à la contemplation de la moquette d'un gris anthracite. Quand il reconnut la jeune femme qui s'était assise à côté de lui, Ryusuke déglutit péniblement. Il se sentait capable d'afficher sa détresse face à ses amis.

Il en était autrement avec celle qu'il considérait comme une rivale et un modèle.

— Salut, murmura Emily en regardant devant elle. Je voulais juste te dire que je suis désolée pour Jeremy. Et... mes condoléances pour Kaya.

S.U.I - Tome 2 : Black & WhiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant