Suite

40 19 7
                                    

Il se lève et me prend la main pour m'entraîner jusque dans la cuisine. La pièce embaume les saveurs du Sud et lorsqu'il soulève le couvercle, ma bouche en salive d'envie. Je remarque qu'il a installé la table sur l'îlot central.

― Ça sent vraiment trop bon !

West attrape un saladier sur le plan de travail et le remplit de sa préparation. Un coude posé à ses côtés, je le regarde faire.

― Je suis une mauvaise hôte en te laissant tout gérer.

Il rigole.

― J'ai pourtant l'impression que ça te réjouit.

Je lui adresse un clin d'œil malicieux pour toute réponse. Il dépose le saladier sur l'îlot et m'invite à m'asseoir. Une fois installé, il approche le saladier.

― Vas-y, sers-toi.

Aucune louche ou cuillère à proximité. Mon interrogation muette l'amuse. Ses doigts s'emparent d'une écrevisse qu'il décortique en un temps record. Mon air surpris déclenche son gloussement. En fait, il ne l'a pas décortiqué, grâce à un tour de passe-passe, la carapace est intacte, mais la chair a disparu entre ses lèvres. Quant à la tête, il aspire l'intérieur comme si c'était le meilleur mets au monde. Le temps que je réagisse, il en a mangé au moins trois. Je l'interromps d'un geste de la main en lui déclarant :

― Arrête de faire ton malin, et explique-moi ton superpouvoir !

Il éclate de rire et je suis la première à reconnaître que notre complicité est si naturelle si fluide, comme si on se connaissait depuis des années et pas seulement depuis trois mois.

― OK. Prends-en-un et mets-le en bouche... Maintenant, tu pinces la base de la queue et tu presses jusqu'à ce que la chair sorte pour la pincer entre tes dents. Et ensuite, tu aspires !

Pour me prouver la simplicité de son explication, il me montre une nouvelle fois au ralenti. Je pense pouvoir maîtriser, alors je me jette dans une démonstration... à la New-Yorkaise. En aspirant, j'avale de travers et la puissance des épices me brûle le fond de la gorge alors que la chair est toujours vissée à sa carapace. Je tousse.

― Aspire doucement, ma belle, m'intime-t-il d'un timbre tranquille.

J'accepte le verre d'eau qu'il me tend. Lui ne se démonte pas, il continue son manège qui me rend jalouse et, dans le fond, ça l'amuse. Je sens qu'il me met au défi, comme si ma réaction première était une norme. Les saveurs ont éveillé ma faim et c'est sans compter sur ma détermination à faire comme lui. Je recommence et m'applique à réussir cette fois. Quand la chair se colle contre mon palais, je savoure le mets en bouche et sens les saveurs exploser sur ma langue. La satisfaction doit se lire sur les traits de mon visage.

― Maintenant la tête.

Il exécute le geste, puis m'invite à l'imiter. OK, je me lance parce que je me souviens des mots de ma mère : "Goûte avant de critiquer."

Je plante mon regard dans le sien et aspire l'intérieur de la tête et suis surprise d'aimer le subtil goût âcre, mêlé aux saveurs des épices longuement mijotées dans le jus du plat. Si au début, je suis déstabilisée par la nouveauté du goût, je me laisse imprégner par le plaisir de mes sens qui en redemandent. Il y a une facette de moi qu'il ne connaît pas encore. J'engloutis quand j'aime, combiné à la faim, je deviens une experte de l'écrevisse ou plutôt devrais-je dire une experte à dévorer les écrevisses.

Le saladier se vide alors que nos assiettes se remplissent de carapaces et de têtes. West a servi une troisième assiette, remplie de riz et nappée de la sauce onctueuse du plat. Nos fourchettes plongent dans l'assiette à tour de rôle et un silence confortable s'installe entre nous.

― C'est délicieux ! m'exclamé-je en léchant mes doigts.

― Celui de ma mère est bien meilleur. Mais je me défends pas mal.

― Ne jamais comparer nos plats à nos mères, c'est biaisé d'avance, rétorqué-je avant de boire une gorgée d'eau.

― Pas faux.

West se lève et vide nos assiettes et le saladier dans la poubelle.

― T'as encore faim ?

Je secoue la tête.

― Non. Mais ce serait un sacrilège de ne pas terminer ton plat.

Ma réponse lui plaît et vide le reste de la casserole dans le saladier :

― Je te proclame Néo-Orléanaise d'adoption.

― Sans jamais avoir mis un pied dans ta ville ? raillé-je.

Une écrevisse entre ses doigts, il interrompt son geste. Une lueur d'excitation illumine son regard.

― Tu as raison. T'es libre quand ?

― Tout dépend de ton invitation.

Deux secondes plus tard, la carapace de l'écrevisse tombe dans son assiette, ainsi que la tête. Je suis son exemple le temps qu'il me réponde.

― Une invitation à être ton guide. L'architecture du Vieux Carré te plaira à coup sûr. Les balcons en fer forgé, agrémentés de végétaux. Les façades colorées des maisons et leur entrée en forme d'arcade. Tu ne peux qu'adorer. On fera aussi une balade en mer sur le bateau de mon père.

Il se projette dans le futur avec moi avec une telle confiance que je lui envie presque. Sauf que moi ça me stresse. Ça va trop vite pour moi. Je ne peux rien lui promettre et...

― Hé, Abby ! m'interpelle-t-il en posant sa main sur la mienne. Désolé si je m'emballe trop vite. La dernière chose que je souhaite et de te mettre mal à l'aise.

Je pince les lèvres. Autant me montrer aussi honnête que lui.

― T'es un mec vraiment bien avec qui je me sens à l'aise, mais je sais pas me projeter comme toi.

― Aucune pression entre nous, me révèle-t-il en me souriant avec confiance. Tu n'es ni responsable de ce que je ressens pour toi ni de mes sentiments. Quoi qu'il se passe entre nous, tu fais partie de la famille. Kristen t'adore et tu es aussi importante pour elle. Ce voyage dans ma ville natale, on peut le faire à nous cinq. Qu'est-ce que tu en penses ?

Je bois une gorgée de mon eau pour digérer ses propos. C'est lui qui est surprenant, pas moi. Je pourrais tomber amoureuse de lui d'une manière bien différente qu'avec Grant, bien plus intense et profonde. Il parvient avec douceur à pénétrer les barricades de mon cœur. Et c'est ça qui me terrifie le plus. Pourtant, je parviens à lui répondre :

― Ça me tente bien. Son architecture m'a toujours fascinée.

― C'est aussi une ville très animée par ses nombreux clubs de musique, ses concerts et ses spectacles de rue.

― Tu oublies la nourriture, m'extasié-je.

Il se marre.

― La meilleure !

C'est dans cette ambiance de légèreté retrouvée que l'on termine notre repas. 

***

Bonsoir mes coquinettes,

Un premier rencard important  qui amorce un début prometteur pour la suite... Bon, je n'en dis pas plus et attends avec impatience votre retour, votre ressenti sur leur relation et sur la suite de l'histoire. 

N'hésitez pas à me faire part de tous vos commentaires.

Je vous embrasse bien fort !

Virginie 

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Nov 19 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

La mélodie du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant