La maison d'Amina

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Après l’effervescence de l’appartement, où nous avions fait plus ample connaissance, le chauffeur d'Amina est venu nous chercher dans une voiture.  Oh my god, une voiture que je ne voyais que dans les publicités, tellement belle et luxueuse. Le chauffeur, habillé en costume noir avec des AirPods, nous a accueillies.

La maison se trouvait dans un quartier chic de Dakar, où les belles voitures et les maisons somptueuses faisaient presque partie du paysage. Le portail automatique s’ouvrit devant nous, révélant une allée pavée, bordée de haies soigneusement taillées. On aurait dit l’entrée d’un palace. La maison d’Amina trônait fièrement au bout du chemin, imposante, élégante. Son architecture moderne mêlait verre et béton, tandis que des touches de bois naturel apportaient chaleur et raffinement à l'ensemble. Le soleil, haut dans le ciel, baignait la façade de lumière, faisant briller chaque fenêtre comme des éclats de cristal. J'étais intimidée, et un peu émerveillée. C’était comme entrer dans un autre monde.

Dès que la porte s’ouvrit, une bouffée d’air parfumé au thiouraye nous enveloppa. Ce parfum d’encens, typique des maisons sénégalaises, emplissait l’espace d’une aura mystique, presque sacrée. L’intérieur de la maison ressemblait à un magazine de décoration. Des œuvres d'art accrochées aux murs blancs immaculés, un mobilier moderne où chaque pièce semblait avoir été choisie avec soin. Chaque détail transpirait le bon goût. Même le sol en marbre semblait briller sous nos pas.

La mère d'Amina fit son apparition dans l’encadrement d’une porte, majestueuse. Elle portait une robe en soie aux motifs délicats, qui épousait sa silhouette élancée. Elle était belle, avec une élégance naturelle, presque intimidante. Une véritable *drianké*, comme on dit chez nous, une femme qui allie grâce et charisme. Ses poignets délicatement ornés de bracelets en or, son parfum léger mais envoûtant... tout en elle dégageait une certaine noblesse. Son sourire accueillant m'apaisa.

« Mes filles, soyez les bienvenues », dit-elle en nous faisant des accolades. 
Sa voix était douce mais ferme, empreinte de bienveillance. Elle prit le temps de nous faire asseoir, s'assurant que chacune se sente à l’aise, comme une mère poule protégeant ses enfants. La maman d'Amina incarnait parfaitement la femme sénégalaise avec le sens de l'hospitalité (*teranga*), tout en restant profondément ancrée dans la tradition.

Rapidement, nous fûmes conduites à table. La cuisinière, une femme d’âge mûr à l’allure énergique, déposa devant nous un grand plat fumant. L’odeur des fruits de mer et du *kandia*, ce ragoût aux gombos, remplit la pièce. Mes papilles frémirent. C’était une explosion de saveurs à chaque bouchée : les épices parfaitement dosées, le tendre poisson, les morceaux de crevettes et de crabes. J’avais l’impression de goûter à un plat venu d’une autre planète, tellement c'était exquis.

Pendant que nous savourions chaque cuillerée, la conversation glissa naturellement vers nos vies, nos familles. La mère d’Amina nous regarda avec un sourire bienveillant et entama la conversation. 
« Alors mes filles, parlez-moi un peu de vos familles. D’où venez-vous ? Que font vos parents ? » 
La mère d’Amina nous écoutait avec attention, ses yeux brillants d’une curiosité bienveillante. Binette, toujours aussi assurée, parla en premier.

« Ma mère, autrefois médecin, est aujourd’hui une grande défenseure des droits des femmes. Elle plaide pour la cause des femmes au Sénégal et voyage pour faire entendre sa voix. Elle est même ambassadrice de l'ONU au Sénégal. Quant à mon père, il est pharmacien, c'est lui le propriétaire de la pharmacie Pastef », déclara-t-elle fièrement. À peine eut-elle fini que la mère d’Amina s’exclama :

— « Ah, mais je le connais bien, ton père ! » Elle souriait. « J’achète mes médicaments dans sa pharmacie. Un homme très sympathique et compétent. »

Binette hocha la tête, satisfaite, tandis que je sentais la tension monter en moi. C’était mon tour.

Mon cœur battait plus fort. Les regards étaient braqués sur moi. Je savais que je ne pouvais pas simplement dire la vérité. Ici, dans cette maison de luxe, où tout semblait parfaitement à sa place, ma réalité me paraissait trop crue, trop banale. Alors, avant même de réfléchir, je mentis.

— « Ma mère est une grande commerçante à Dakar, elle habille les femmes de chefs d'État... » dis-je, ma voix un peu tremblante, mais assez convaincante. J’ajoutai, après une brève pause : « Mon père... il est décédé. » Un silence pesant suivit. Je sentis le poids de ma propre tromperie m’écraser. Le mensonge avait glissé si facilement, mais l’impact fut immédiat.

Les traits de la mère d’Amina se figèrent brièvement avant qu’elle ne m'adresse un regard empli de compassion.

— « Oh, ma fille, je suis désolée pour ta perte. J’espère que ta mère vit bien cette situation. Je n'ose pas imaginer votre peine. »

Ces mots me poignardèrent en plein cœur. Je baissai les yeux, incapable de soutenir son regard. Comment pouvais-je m’infliger cela ? Mais dans ce moment, entourée de ce luxe auquel je n’appartenais pas, je voulais m’y accrocher, au moins l’espace d’un instant.

Le repas continua dans une ambiance plus détendue, mais moi, je me sentais de plus en plus en décalage. Mes pensées étaient ailleurs, hantées par ce que j’avais dit. Pourtant, malgré ce poids, quelque chose de plus grand naissait en moi : un sentiment de détermination. Dans un coin de mon cerveau,  j’étais pleine de promesses silencieuses. Je ne pouvais peut-être pas effacer ce que j'avais inventé, mais je pouvais travailler dur pour que, un jour, ma réalité soit à la hauteur des histoires que je racontais.

Après ce repas copieux, nous nous sommes installées dans le salon, savourant un bon ataya, un dessert aux fruits que la maman d'Amina avait pris soin de choisir dans une pâtisserie renommée. Ce délice était accompagné de jus locaux aux saveurs exotiques. Tout était parfait, et il était évident que la maman d'Amina incarnait l'image même de la « maman poule », consacrant son amour et son énergie à rendre chaque moment mémorable pour sa fille.

Chronique de Fa, L'étudianteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant