Les ombres du désert [bientôt terminé]

Chapitre 35

4 décembre 1969

Les gens viennent et partent. Vivent puis ils meurent. Ils pleurent un jour, puis rient le lendemain. Parfois, la vie semble compliquée, et d'autres fois tout paraît si clair, si évident. Mais que faire des moments de doute ? Ces instants où l'on ne ressent rien, où tout semble fade, sans saveur ni couleur. Pas de tristesse, pourtant, rien ne passe. Aucun sourire ne se dessine.

Et puis, parfois, tout s'abat d'un coup, comme une vague inattendue. On la voit arriver trop tard, et lorsqu'elle nous atteint, elle emporte tout sur son passage...

Dans le silence feutré de l'hôpital d'Aldébaran, le prince Jawhar et son épouse Zaina reposaient, inconscients, dans une aile entièrement privatisée pour eux. Leurs deux cœurs, deux sœurs d'armes fidèles, battaient à un rythme régulier, presque apaisant, comme si le danger était enfin passé. Mais il manquait quelque chose, un battement fragile, une petite vie qui avait quitté ce monde sans bruit, trop tôt, trop violemment. L'absence se faisait sentir, mais personne n'osait encore la nommer. Les médecins eux-mêmes s'étaient tus, effacés derrière le rideau du chagrin.

Hessa, debout à quelques mètres du lit, observait ses sœurs avec les yeux rougis par les larmes. Elle avait tant de douleur en elle, tant de colère. Elle, la guerrière qui s'était dressée contre la fatalité, avait affronté la guerre pour sauver ses sœurs et leur avenir. Durant cette bataille, elle avait vu son père mourir. Le seul qui connaissait la vérité, son secret, celui qu'elle avait gardé enfoui si profondément que même ses sœurs ignoraient tout. Et maintenant, ce secret devait mourir avec lui, comme si jamais il n'avait existé. Elle essuya rageusement une nouvelle larme avant de détourner le regard. Elle ne pouvait pas se permettre de faiblir, pas maintenant.

De l'autre côté du lit, Adila serrait fermement la main de Zaina. Sa grande sœur était allongée là, immobile, le visage pâle, le souffle faible. Une lueur d'espoir, fragile mais présente, continuait de danser dans ses pensées. Elle se refusait à penser au pire, à laisser ces sombres images envahir son esprit. Elle se concentrait sur ce lien, cette main chaude qu'elle tenait dans la sienne, comme si elle pouvait ancrer Zaina dans la vie par la seule force de sa volonté. Mais le doute l'assaillait malgré elle. Et si... ?

Adila ferma les yeux un instant, tentant de repousser cette peur sourde, cette horreur qui s'insinuait en elle. Elle chassa de son esprit l'idée du pire et murmura une prière. Le son d'une porte qui s'ouvre rompit le silence.

Felia, leur mère, entra dans la pièce. Son regard, d'abord dur, se radoucit en voyant ses filles. Felia n'avait jamais été une mère affectueuse, du moins pas pour Zaina. Ce n'était pas par manque d'amour, mais par la douleur d'un passé qu'elle n'avait jamais pu surmonter. Son premier enfant, Zahir, fruit de son amour avec Haytham, lui avait été arraché. Puis Yacoub était venu, et Felia n'avait jamais pu aimer Zaina comme elle le voulait. Pas parce que Zaina n'était pas digne d'amour, non. Zaina était un rayon de soleil, une enfant aimante, joyeuse, généreuse. Mais elle était née d'un viol, d'une union forcée et violente, et pour Felia, voir Zaina, c'était revoir son passé, revoir l'ombre de Zahir.

Un jour, Zaina, petite, avait demandé à son père : « Baba, est-ce que tu crois que Mama elle m'aime ? » Felia s'en souvenait, cette question lui avait déchiré le cœur. Bien sûr qu'elle l'aimait. Mais jamais elle n'avait pu le dire. Et maintenant, sa fille gisait sur un lit d'hôpital, entre la vie et la mort.

Felia s'approcha lentement, ses mains tremblantes. Elle s'assit près de Zaina et lui prit la main, incapable de retenir ses larmes. Elle n'avait jamais été capable de lui dire qu'elle l'aimait, pas même une seule fois.

- Je suis tellement désolée. Je t'aime, ma fille... murmura-t-elle enfin, brisée, des sanglots dans la gorge.

Les secondes passaient, et la douleur dans cette pièce devenait palpable, un lourd fardeau que chacun portait différemment.