Chapitre 1

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ALTAÏR, 1969

- Zaina, vite baba arrive ! Me crie ma petite soeur.

Je saute le dernier obstacle puis je ramène mes jambes au plus près des flancs de mon cheval pour qu'il ralentisse. Je décontracte enfin mes jambes lorsqu'il s'arrête puis je saute vite de son dos sur lequel je n'avais pas eu le temps de mettre la selle, et le laisse là au milieu de l'arrière cour.

Cette fois j'ai eu de la chance car à peine ai-je eu le temps de remettre correctement ma tunique et mon foulard bleu malgré que des mèches me tombaient encore sur le front, que mon père entrait par la grande porte en bois qui menait à l'arrière cour.

-Vous êtes encore ici ? Je vous avait dit de vous préparez, on part dans une heure ! Déclare mon père sur un ton stricte.

- Mais où allons nous père ? Demain c'est l'anniversaire de Zaina. On l'a toujours fêté ici avec toute la famille, répondit Adila.

Je regarde mon père dont l'expression n'affichait rien de bon. Il paraissait très anxieux et énervé. Encore plus que d'habitude.

- Cette année nous avons prévu autre chose avec votre mère. Tout est déjà prêt. Vous avez juste le temps de prendre une douche avant de partir.

Il tourna sa tête vers moi et leva un sourcil inquisiteur.

- N'est-ce pas Zaina ? Tu as réussi tous les obstacles cette fois ?

Je n'ai même pas le temps de lui répondre que la porte s'ouvrit sur notre mère.

- Dépêchez-vous les filles. J'ai réchauffé l'eau dans le grand bain.

- Oui mama, on répond en cœur avec mes soeurs.

On se jeta un regard complice avec mes soeurs avant de poursuivre notre chemin vers nos chambres respectives.

- Vous ne trouvez pas baba et mama bizarres en ce moment ? Demanda Adila.

-Ils l'ont toujours été, répondit Hessa avec un sourire carnassier sur les lèvres.

Je la réprimande du regard.

- Ils doivent forcément avoir une bonne raison. Je dis en savonnant le dos de ma petite soeur Adila.

- Je les ai entendu discuter la dernière fois, je continue ce qui me vaut deux paires de yeux attentifs sur moi. Baba disait que quelqu'un tentait de faire concurrence avec ses affaires et que si ça continuait, il pourrait perdre beaucoup d'argent et...

- Et quoi ? Demanda Hessa craignant ma réponse.

- La maison... dis-je en baissant la tête et
regardant l'eau couler entre mes doigts.

Mes deux petites sœurs me regardaient l'air effarouché. Je les comprenais, j'ai eu la même réaction moi aussi.

- Mais ce n'est pas possible, reprit Adila, elle appartient à la famille depuis des siècles cette maison. Si on la perdait...

- On perdrait tout notre héritage aussi.

Dis-je en remettant une des mèches noirs d'Adila derrière l'oreille. Elle était la plus petite de nous trois mais aussi la plus intelligente et curieuse. Âgé de 15 ans, elle possédait une connaissance plus étendue que Hessa et moi réunit. Au lieu de passer son temps avec nous dans les jardins, ou bien avec les autres filles de notre école, Adila, elle, préférait rester dans la bibliothèque à lire des tas de choses. Tous les soirs nous avions le droit à une nouvelle histoire.

Parfois elle nous racontait des choses dont j'en étais certaine, baba n'était pas au courant.

Des choses d'adultes...

- Ne dites pas n'importe quoi, reprit Hessa. Papa ne laisserait jamais une chose pareille arrivée. Et même si c'était le cas, alors je me battrais pour sauver notre héritage.

C'était typiquement le genre de discours que tenait ma soeur Hessa. Déterminée, sauvage, rebelle. Parfois j'avais peur de son indocilité. Mais si j'avais peur c'était pour une raison seulement. Elle était la seule qui tenait tête à notre père et je craignais que cela puisse lui coûter cher un jour. Elle ne se pliait jamais aux règles facilement.

J'étais l'aînée et mon rôle était de prendre soin de mes sœurs. Elles étaient toutes ma vie, mes meilleures amies, mes confidentes, ma famille...

Après une longue conversation dans le hammam, notre mère était venue nous chercher pour nous dire de nous dépêcher.

Vingt minutes plus tard, nous étions tous partis, mes parents à l'avant du véhicule tandis que mes soeurs et moi étions derrières. Une vitre séparait nos compartiments.

Nous n'osions pas trop parler, l'ambiance était tendue. Mon père paraissait anxieux et ma mère... et bien ma mère absente comme toujours. Je ne savais jamais ce qu'elle pensait ou ressentait. Son regard était toujours vide d'émotions.

Je n'étais pas proche de ma mère, du moins c'était elle qu'il ne le voulait pas. À chaque fois que je tentais une approche, elle se braquait sur elle-même. Parfois son regard d'un vert saisissant m'était si étranger que je me demandais si nous avions un jour eu une relation normale, comme avec Adila ou Hessa par exemple.

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas remarqué que nous ralentissions de plus en plus jusqu'à complètement nous arrêter. Curieuse, je mis ma tête à l'extérieur pour voir ce qu'il se passait mais une rafale de sable me couvrit la vue.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda Adila à côté de moi.

- Je ne sais pas, il y a trop de vent et le sable m'empêche de voir.

Soudain, on entendit la voix de notre père résonner à travers la petite vitre qui nous séparerait de nos parents.

- Faites quelque chose, ne les laissez pas s'approcher, criait-il au conducteur.

- Yacoub, ils sont trop nombreux ! Nos filles sont derrières, faisons demie-tour ! Suppliait ma mère.

Mais que ce passait-il enfin ?

Mon cœur commençait à battre fort dans ma poitrine. Ma respiration se faisait irrégulière. Quelque chose d'anormal se passait à l'extérieur, sinon jamais ma mère ne l'aurait supplié comme elle venait de le faire.

- Il est hors de question Felia. Ils nous attendent. On a tenu un accord ! Disait-il durement.

- Hessa, qu'est-ce que tu fais ? Je dis paniquée en la voyant ouvrir la portière pour se faufiler à l'extérieur.

- Non arrête, repris-je en essayant d'attraper son poignet mais ce fut en vain.

Une chose que je détestais par moment chez elle : son opiniâtreté.

- Reste ici et ne bouge surtout pas, exigeai-je à l'intention d'Adila

Comme réponse elle hocha de la tête avec véhémence. Sans plus réfléchir, je sortis à mon tour du véhicule.

- Hessa revient tout de suite à l'intérieur, dis-je à voix basse mais suffisamment fort pour que seulement elle m'entende.

Elle me faisait dos et ne bougeait pas. Son regard était subjugué par quelque chose dont je n'arrivais pas encore à bien distinguer.

Je m'avançais près d'elle doucement jusqu'à être totalement à ses côtés, et quand je vis ce qui la rendait si tyrannisée, mon coeur manqua un battement.

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Les ombres du désert [bientôt terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant