Chapitre 6

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A vrai dire, je me demande encore comment j'ai pu être naïf de croire que je pouvais tout contrôler. J'ai beau en avoir dans le crâne, sur ce coup-là, je n'ai vraiment pas été malin.

Novembre approchait, et tout se passait à merveille. Le duo Alex-Austin est passé au trio Alex-Austin-Sarah en très peu de temps. Des simples repas au self, on s'est vu entre les intercours, pour finir en dehors du lycée, comme n'importe quelle bande de potes. Cette fille est une vraie boule d'énergie, et cultivée comme c'est pas permis. Je me souviens même qu'on a passé une nuit entière (je dis bien nuit entière, jusqu'au lever du soleil) à discuter cinéma, littérature, musique, architecture... Le pauvre Alex avait lâché l'affaire et dormait paisiblement juste à côté.

Mis à part une différence de chromosomes, deux clones quasi identiques. Elle me comprenait, je la comprenais aussi. Alex aussi, mais c'était à un autre niveau : d'un regard, on pensait à la même chose, mes yeux vairons se perdant dans les siens d'un gris hypnotique (Je demande d'ailleurs comment j'ai fait pour la leurrer aussi longtemps, sans qu'elle se rende compte de rien).

Un coup de foudre amical réciproque, qui s'est mué plus tard en quelque chose de bien plus fort.

Mais à ce moment, mes chers comparses de toujours ne sont pas là. J'arpente les magasins tout seul, à la recherche de cadeaux idéaux pour Noël. Autant mes parents, c'était facile ; Alex et Sarah aussi. Mais le reste de ma famille... Si je pouvais m'en passer, ça m'arrangerait.

Disons que... Si moi, en tant que connard sociopathe, j'arrivais à masquer mon jeu, eux, ils s'en foutent complètement. Étalage de pognon, photos de vacances luxueuses, cadeaux hors de prix... Tout est prétexte pour s'afficher devant le petit peuple. Une fois, à une caisse de supermarché (déjà, rien que ça, c'était impensable pour eux), un de mes cousins à tout naturellement déclaré à la caissière : « C'est grâce à nous que vous vivez, vous savez ? » J'ai vraiment eu du mal à retenir mon fou rire derrière mes lunettes de soleil. Comme quoi, baigner dans le luxe, ça rend vraiment con.

Au détour d'un rayon, je croise une tête que je n'ai vraiment pas envie de voir. Et j'ai à peine le temps de tourner les talons que j'entends mon nom.

 - Austin !

A ce moment-là, je me souviens avoir lâché un magnifique « et merde... » avant de me retourner.

 - Salut Kevin.

Oui... Kevin. Le prénom de l'abruti parfait qui colle très bien à son propriétaire : toujours à s'habiller en survêt alors que ses darons sont pleins aux as, et à faire sa racaille de Versailles. Non, je n'exagère pas du tout, les clichés ont toujours un fond de vérité.

 - Qu'est-ce que tu fais ?

 - Mes courses. (Putain, je suis blindé de sacs et tu remarques rien)

 - Dis... Il te reste un peu de matos ? me demande-t-il en s'approchant.

Ah oui, je ne vous l'ai pas encore dit, ça : il fut un temps, je dealais au lycée. Je m'emmerdais, je ne savais pas quoi faire, alors je me suis dit « Tiens, pourquoi pas ? ». Quel intérêt ? Aucun. Si ce n'est que ça m'occupait. Je ne suis pas resté longtemps dans le business. Pas parce que je n'y arrivais pas, mais parce que j'avais vite fait le tour. Passé l'excitation des débuts, ça retombe vite.

Compte tenu du nombre de jeunes en mal de sensations fortes, ça partait comme des petits pains, et je me faisais une bonne marge également avec les bénéfices... Voire plus, des fois. Vous seriez surpris de ce qu'une personne en manque est prête à faire pour avoir sa petite dose... Même les mecs hétéros les plus endurcis. Oui, vous avez bien lu. Mais on parlera de ça plus tard.

 - Tu sais très bien que j'ai arrêté.

 - Allez, je suis sûr que tu as bien dû en garder pour ton conso perso.

 - (Mais quel gros lourd, celui-là...) Même pas, non, désolé.

 - Attends, tu es sérieux là ?

 - (Non, non, je me taille un petit rail de temps en temps, en me farcissant une douzaine de putes dans le jacuzzi) Oui. Si tu veux, je te donne le nom de mon fournisseur, je l'ai gardé. Tu t'arrangeras avec lui.

Bon, ça, c'était un gros bobard. Quand j'ai arrêté, l'arrangement était d'écouler tout le stock que j'avais, et on traçait chacun notre route. Mais avec ça, j'étais sûr qu'il allait me foutre la paix. Assez téméraire pour sniffer tout et n'importe quoi, mais pas assez pour se frotter à des gros trafiquants. Comme quoi, les couilles chez certains sont seulement là pour faire joli. Il m'a lâché un « Laisse tomber » avant de me tourner le dos sans dire au revoir. Et à peine deux minutes après, devinez qui je croise ? Oui, Benoit. Bon, OK, jusque là, j'ai toujours dit que je voulais me le refaire, mais passé un certain temps, ça allait. Comme quoi, l'abstinence, dans n'importe quel domaine, passé un certain stade, ça glisse tout seul... Sans mauvais jeu de mots.

Blouson de cuir et sourire ultra bright, petit T-shirt blanc... Même là, il était sexy à mort. A vrai dire, on n'a pas discuté de grand chose. Enfin, si : surtout des cours. Techniquement, c'était mon prof, donc... Il m'a même proposé de m'aider à porter mes sacs, mais j'ai poliment refusé. Il me tapota sur l'épaule pour me dire au revoir, et moi, je passais à la caisse payer mes derniers achats.

On aurait dit deux potes qui se croisaient fortuitement. Dans un sens, ça me convenait : autant que ce coup vite fait de cet été reste une anecdote que je pourrais raconter plus tard sans être inquiété des conséquences.


Le lendemain, j'étais sur la route du lycée quand mon portable sonna.

 - Oui, mon petit Alex ? Que puis-je pour toi de si bonne heure ?

 - Dis moi que tu es chez toi.

 - Euh... Non, ça fait 5 minutes que je suis parti, pourquoi ?

Silence radio.

 - Alex, dis moi ce qu'il se passe, lui demandai-je d'une voix grave.

 - ... Tout le lycée est au courant.

Sans IssueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant