Une semaine et demie avait passé. La vie avait repris son cours normal. Enfin... presque normal. J'étais devenu l'élève dont tout le monde parlait. Sauf que j'étais plus craint qu'autre chose. J'avais l'impression d'être devenu Joffrey Baratheon dans Game of Thrones... A ceci près que je n'étais pas aussi sadique que lui. Quant à moi... J'avais eu le temps de réfléchir. OK, Benoît m'attirait, mais l'épisode du baiser volé m'avais fait prendre conscience que j'avais des limites. J'étais borderline, mais pas à ce point-là. Même si j'en avais envie, je ne pouvais pas être avec lui, je m'étais fait une raison.
- C'est amusant, quand même, sortit Sarah en regardant un groupe d'élèves passer à côté de nous en chuchotant. D'un côté, tu es populaire, de l'autre, on te fuit comme la peste. C'est paradoxal.
On déjeunait tranquillement et pour une fois, je n'étais pas en train de me goinfrer.
- Qu'est-ce que tu veux ? Ils ont peut être peur qu'il balance des dossiers sur eux, répondit Alex. Parce qu'il en a.
Oh que oui, j'en avais. Assez pour occasionner des dégâts collatéraux suffisamment importants, comme celle où je me suis fait sucer par la première de la classe pendant l'intercours en échange d'une dose de coke, ou bien celle où le beau gosse du lycée, pourtant catalogué 100% hétéro, m'avait branlé dans les vestiaires du gymnase, pendant qu'il me roulait une énorme pelle. C'est clair que j'avais de quoi faire péter une bombe atomique tous les jours au lycée, voire simultanément toutes ensemble. Ça m'a même démangé d'écrire un blog là-dessus. Entièrement anonyme, ça va de soi. En fin de compte, autant garder tout ça pour moi, ça me faisait un bon moyen de pression sur certains.
- Oui, même sur toi, alors fais gaffe, lâchai-je avec un petit sourire aux coins des lèvres.
- Ça, c'est petit, me dit-il, sous les rires de Sarah.
Bon, oui, j'en avais aussi sur lui, mais jamais je ne l'aurais balancé. C'était et c'est toujours mon meilleur pote.
- Au fait, on se retrouve toujours chez toi pour réviser demain soir ? me demanda Sarah.
- Oui, toujours, c'est prévu comme ça.
Oui, je révisais aussi. J'avais beau être un connard antipathique, je n'en étais pas moins un lycéen lambda.
Samedi soir, 23h. À l'heure où d'autres se bourrent la gueule pour se tailler une meilleure réputation, Alex, Sarah et moi, on bûchait sur un TP d'anglais. La table basse du salon débordait de feuilles et de bouquins en tout genre, et mon PC trônait en plein milieu. C'était un sacré bordel, quoi que bien organisé.
- Je dois y aller, dit Alex en regardant son portable.
- On a presque fini, tu ne peux pas rester ? lui demanda Sarah.
- Ça se voit que tu ne connais pas mes parents, toi, lâcha-t-il en se levant.
(Oui, ça, c'est clair)
- C'est à qui le piano, au fait ? demanda Sarah.
- Normalement, à moi, lui dit-je.
- Tu es sérieux ?
- Oui, mais je n'en joue presque jamais.
- Tu peux faire une exception, pour moi, ajouta-t-elle en faisant une moue faussement boudeuse à laquelle je n'ai jamais su résister.
- ... OK, à une condition : qu'Alex reste pour écouter, balançai-je en direction de ce dernier pendant qu'il remettait ses chaussures.
- Austin... me supplia-t-il.
- Je sais, mais tu n'es pas quand même pas à cinq minutes près, si ? Ça fait longtemps que je n'ai pas eu de public, en plus.
- ... Bon, OK. C'est bien parce que c'est toi.
Je m'installais derrière les touches, fit craquer mes articulations pour m'étirer, et commença à jouer Whispering d'Alex Clare, tout en fredonnant les paroles en même temps. Mes doigts couraient sur le clavier, mes pieds appuyaient sur les pédales, pendant qu'Alex et Sarah m'observaient, l'une assise sur le canapé, l'autre accoudé près de la porte d'entrée. C'est rare que je me donne en spectacle, mais là, c'était deux personnes en qui j'avais confiance et que j'appréciais. Alex m'avait déjà entendu, mais Sarah, c'était une première. Et quand je levais les yeux vers elle, je voyais des étoiles dans ses yeux.
La dernière note retentit et j'ai eu droit à deux applaudissements.
- Merci, vous êtes trop aimable, lançai-je, en prenant un air faussement modeste.
- Je peux y aller maintenant ? demanda Alex en ouvrant la porte.
- Allez, file, lui dis-je. Repasse demain par contre, on doit terminer.
- C'est noté, ajouta-t-il en fermant la porte derrière lui.
- ... Ses parents sont vraiment aussi... ? questionna Sarah.
- Oh que oui, lui dis-je en posant mes bras sur le dessus du piano.
- A ce point là ?
- Tu lui demanderas toi-même, ce n'est pas à moi de le faire.
Il m'aurait tué aussi, je crois. Le gros problème d'Alex, c'est ses parents. Et je ne dis pas ça parce qu'on est au lycée, que tout le monde déteste ses parents à cette période là de sa vie, non. C'est vraiment LE problème. Pour vous donner une idée, ils m'ont même balancé que j'étais toxique pour leur fils. Oui, rien que ça. Je crois surtout qu'ils ont fait un beau transfert émotionnel, parce que les seules personnes toxiques de son entourage, c'est eux : pas une seule fois ils ne l'ont encouragé dans ce qu'il aimait faire, ils le rabaissaient sans arrêt en disant que ce n'était pas avec ça qu'il allait gagner sa vie, parfois même, ça allait jusqu'au chantage affectif et à l'annulation de sortie à la dernière minute. Combien de fois je l'ai ramassé à la petite cuillère, en larmes, et je l'ai tiré vers le haut ? Une fois, je l'ai même forcé à dormir à la maison parce que c'était allé trop loin. Ses parents avaient promis de changer, mais ils étaient repartis dans leurs vieux travers. Et malheureusement, il avait compris qu'ils ne changeraient pas. Il faisait avec. Il ne cherchait pas le conflit, il l'évitait autant que possible. Tout ce qu'il espérait à ce moment-là, c'était de partir loin de tout ça, trouver un travail, faire sa vie, et il comptait les jours où il deviendrait enfin libre. Il subissait plus qu'autre chose, et croyez-moi, il m'a retenu plus d'une fois pour leur dire ce que je pensais, à ces "parents" indignes.
- Bon, dis-je en me levant, autant laisser ça comme ça, vu que demain on continue. Je te sers quelque chose à boire ? Ou de la beuh ?
Ça va, ne me regardez pas comme ça. On se connaissait depuis un moment, maintenant. Et un joint n'a jamais tué personne, et vu qu'elle dormait à la maison...
On s'est retrouvé tous les deux dans le jardin, allongés dans l'herbe, malgré la fraîcheur de l'automne. La fumée flottait dans l'air, et on regardait les étoiles, à disserter sur la vie, l'espace... En clair, l'opposé de la discussion que j'avais eu avec Benoît dans les mêmes circonstances.
Et... Ça a dérapé.
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Sans Issue
General FictionQuel effet cela vous ferait si vous appreniez que vous étiez l'objet du désir de quelqu'un ? Je veux dire... Qu'il pense à vous, jour et nuit, qu'il n'arrive pas à penser à autre chose, qu'il soit obsédé par votre personne... Au point de vous harcel...