Chapitre 4

193 15 1
                                    

Les trois heures qui ont suivi m'ont paru interminables. Pendant tout ce temps, je n'ai quasiment pas dit un mot, donnant le change comme je pouvais. J'avais couché avec mon prof principal... Bon, techniquement, quand ça c'est fait, ce n'était pas encore mon prof. Et je n'avais aucune chance de savoir qu'il l'était.

Quand la sonnerie retentit, je n'avais qu'une envie : sortir de cette salle au plus vite. L'air commençait à devenir irrespirable pour moi, je n'en pouvais plus de rester assis sur cette chaise métallique. J'en avais même oublié qu'Alex me suivait. J'ai du faire plusieurs mètres avant de me souvenir qu'il existait.

 - Eh, tu peux ralentir ? Il n'y a pas le feu, je crois, me dit-il.

 - Désolé, lui répondit-je en sortant mon paquet de cigarettes.

 - Austin...

Ah, oui... Je vous ai déjà dit que je fumais trop ; Alex est le premier à me le rappeler.

 - Quoi ? lui rétorquai-je en sortant mon briquet. C'est mon corps, je suis libre d'entretenir mon cancer, quand même.

 - Tu as retrouvé la parole, à ce que je vois. Tu n'étais pas très loquace ce matin.

Il est vrai que j'ai hésité à lui en parler. On se disait tout, et c'est toujours le cas aujourd'hui, mais là, ça dépassait toutes les conneries que j'avais pu faire jusque à ce moment-là. Mais j'ai même pas eu à me poser cette question très longtemps.

 - Il y a un truc qui te tracasse ? me demanda-t-il en m'observant.

 - Putain, tu es chiant, tu as un sixième sens ou quoi ? Je ne peux même pas être tranquille.

 - Je sais, me répondit-il avec un grand sourire.

Je me suis arrêté de marcher.

 - Promets-moi que tu ne vas pas t'énerver, ni hurler, lui demandai-je.

 - C'est si grave que ça ?

 - Oui... On peut dire ça.

J'ai pris une grande inspiration.

 - Tu... vois notre prof principal ? Le petit nouveau ?

 - Oui, la trentaine, les tempes grisonnantes, chemise-cravate... Je vois qui sait, oui, ironisa-t-il.

 - ... J'ai couché avec lui.

Je m'attendais à tout venant de sa part. Son visage est passé par la surprise, la colère, l'incrédulité. Il est resté silencieux pendant un moment.

 - S'il te plaît, dis-moi quelque chose, le suppliai-je, je me sens déjà suffisamment mal comme ça.

  - ... C'était quand ? finit-il par sortir.

 - Cet été.

 - Le fameux « coup du siècle » ?

 - Oui. Écoute, je ne savais pas qu'il était prof, et encore moins dans notre bahut. Je savais juste qu'il avait été muté dans le coin.

Il s'est assis sur un banc situé juste à côté, et a posé ses mains sur son visage, comme s'il réfléchissait. Son silence me rendait dingue ; j'avais déjà une boule au ventre qui ne voulait pas partir, et là, il me stressait encore plus.

- Tu comptes faire quoi ? me sort-il.

- Rien.

 - Pardon ? s'exclama-t-il.

 - Je ne ferai rien, parce que je n'ai pas envie qu'il se passe autre chose. J'irai m'expliquer avec lui, et je lui dirai exactement ce que je viens de te dire.

Il commençait à serrer ses poings et à les desserrer.

 - Ça va ? lui demandai-je.

 - Extérieurement, oui. Intérieurement, j'ai envie de te mettre une droite, me lâcha-t-il, sèchement.

 - Alex...

 - Tu ne peux vraiment pas te retenir de sauter sur tout ce qui bouge ? me coupa-t-il.

 - Je ne lui ai pas sauté dessus. Je l'ai peut-être un peu influencé, par contre... ajoutai-je, gêné.

 - Ce n'est pas vrai...

J'ai essayé de continuer à lui parler, mais il s'est muré dans le silence. Est-ce que je peux sincèrement lui en vouloir ? Il n'essayait que de m'aider, comme il l'a toujours fait, et comme je le fais pour lui dès qu'il en a besoin. Et là, je venais de lui balancer une bombe en pleine figure. Vous auriez réagi comment à sa place ?

Le reste de la journée était encore plus tendu que la matinée, surtout parce qu'Alex me faisait la gueule. Quand il fut temps de partir, il quitta la pièce sans dire un mot en même temps que les autres. Moi, il fallait que je prenne mon courage a deux mains, et que je m'explique avec Benoît. J'ai attendu qu'on soit tous les deux seuls pour m'avancer vers son bureau. J'avais la gorge sèche et un sourire crispé se lisait sur mon visage. Lui me fixait intensément, et le voir ainsi, parfaitement coiffé, avec chemise et cravate, ne me facilitait pas la tâche. Et voyant que j'avais du mal à engager la conversation, il prit les devants.

 - Si on devait décerner un prix au silence le plus gênant de l'année, celui-là aurait la palme, me dit-il avec le sourire.

Sur le coup, j'ai ri, mais intérieurement, j'avais l'estomac qui se retournait dans tous les sens.

 - Je... ne savais pas que tu étais prof, finis-je par articuler.

 - Tu ne me l'as pas demandé en même temps, me répondit-il. Tu as quel âge, au fait ?

 - Ça change quelque chose ?

 - Tu es en terminale, je suis ton professeur principal et vu ce qui s'est passé...

 - Justement, à propos de ça... le coupai-je. (Oui, j'avais vraiment envie d'en finir et de quitter cette pièce)

 - Je t'écoute.

 - Est-ce que... on peut...

 - Éviter que ça aille plus loin ? Je te rassure, je n'en avais pas l'intention, vu la situation.

 - Ce n'est pas ce que tu disais en me donnant ton numéro, la dernière fois.

 - Ça, c'était avant que je sache que tu es encore au lycée... Et que je sois ton prof, par la même occasion.

Il prit une profonde respiration, et reprit la parole.

 - Écoute... Cette situation me met mal à l'aise autant que toi. J'ai cherché toute la journée comment on allait résoudre ce problème. Visiblement, on a eu la même idée, donc... On fera comme si de rien n'était : il ne s'est rien passé, et il se passera rien d'autre, on est d'accord ?

J'acquiesçais d'un hochement de tête. Moi, qui d'habitude, n'était jamais à court de mots, me retrouvait presque privé de la parole face à lui. Je m'apprêtais à quitter la pièce quand j'ai repensé à ce que j'ai dit il y a quelques minutes.

 - Euh... Ton numéro, j'en fais quoi, alors ? Je l'efface ?

 - ...Non, garde-le, me répondit-il après un instant de réflexion. Si jamais tu as un souci, que ce soit personnel, scolaire ou autre, tu m'appelles. Et pour rien d'autre. On peut quand même essayer d'être amis, tu ne crois pas ?

A ce moment-là, j'aurais dû m'écouter et l'effacer. OK, on avait couché ensemble. OK, c'était un de mes profs. Mais là, la tentation était trop grande. Vous savez l'effet qu'il m'a fait à cet instant précis ?... Oui, exactement celui-là. Je ne savais pas pourquoi je me sentais attiré physiquement par lui, mais c'était plus fort que moi. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis masturbé en pensant à lui, à sa peau, son odeur, ses muscles... Rien que de le voir me filait une trique pas possible, même en cours. Lui, en me disant de garder son numéro, voulait que ça reste amical, et rien d'autre. Moi, je n'avais qu'une envie : lui remettre le grappin dessus.

Mais on s'était juré qu'ils se passerait rien d'autre. Et mes pensées lubriques allaient devoir rester à l'état de fantasmes.

Sans IssueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant