Chapitre 12

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Les vacances de Noël étaient passées, et j'appréhendais la rentrée avec une énorme boule au ventre. Même si personne n'avait rien remarqué, cette rencontre impromptue avec Benoît m'avait laissé un arrière-goût indigeste. Je n'ai pas arrêté de me repasser ses mots dans ma tête, à se qu'il allait pouvoir faire... Les premiers jours, j'étais sans arrêt aux aguets. Je faisais attention au moindre détail, à la moindre de ses paroles, chacun de ses gestes, un peu comme un proie prise en chasse par un prédateur, et qui attend de se faire attraper. Je savais qu'il allait frapper, mais je ne savais pas où, ni comment, ni quand. À ce moment-là, j'avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et j'allais bientôt me la prendre.

C'était au mois de février, juste avant les vacances. Sarah n'avait pas le moral à cause d'une mauvaise note. Je lui disais que ce n'était rien, que ça allait passer, puis quand j'ai vu de quel devoir il s'agissait, je me suis figé : c'était moi qui lui avait rédigé. Je m'étais proposé charitablement, vu la masse de boulot qu'elle avait, et elle n'avait qu'à recopier pour que le prof n'y voit que du feu.

En fait, ce n'était pas vraiment la note qui me gênait, mais plus le correcteur : Benoît. Je savais qu'un sale coup allait venir, j'ai le nez pour ça. Mais pas comme celui-là. Qu'il s'en prenne à moi, je m'en fous, après tout, je l'avais mérité. Mais pas à ceux que j'aime.

A la fin d'une journée de cours, j'ai tenu à régler ça avec lui. Alex ne m'avait pas attendu, il avait des courses à faire. Tant mieux, ça m'arrangeait d'avoir le champ libre.

- Je peux te parler ?

- Oui, qu'est-ce qu'il y a ? me demanda-t-il, installé derrière son bureau.

- C'est à propos de ça, lui dis-je en sortant le devoir de ma poche.

Il rit en esquissant un sourire en coin. J'ai serré les poings, tellement ça me démangeait de lui coller une.

- Elle est venue pleurer dans tes jupons, c'est ça ? me nargua-t-il.

- C'est moi qui l'ai écrit.

Et là, son petit sourire s'est effacé.

- On triche maintenant, bravo, je te félicite.

- Je suis le meilleur élève de ta classe, tu le sais très bien. Tu ne l'as même pas lu, sinon, tu n'aurais jamais mis cette note, reconnais-le, lui dis-je en jetant la copie sur la bureau.

- ... Peut-être bien, oui.

Plus ça allait, plus le sourire sur son visage s'agrandissait, comme si ça lui faisait plaisir de me faire souffrir de cette manière.

- C'est comme ça que tu as décidé de t'y prendre ? Quel courage.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Ne joue pas à ça, parce que là, tu es à deux doigts de te prendre mon poing dans la gueule.

- Mais je n'attends que ça, mon petit Austin. Tu vois, je serai curieux de savoir quel serait ton excuse face à l'agression d'un de tes professeurs, qui plus est, ton prof principal, ajouta-t-il en croisant les bras.

- Tu morfleras autant que moi si je préviens le rectorat, tu outrepasses ta fonction en faisant ça.

- Ça, je n'en suis pas si sûr. Parce qu'il te faudrait une raison valable pour avoir fait ça... Et ça m'étonnerait que tu veuilles raconter ce qu'il y a eu entre nous, n'est-ce pas ?

A ce moment-là, je savais que je perdais le contrôle de la situation. Mes poings se desserraient et mes mains commençaient à trembler.

- Je m'en doutais, dit-il en se levant de sa chaise. Tu as peut-être changé depuis quelques semaines, mais tu aimes trop avoir le dessus sur les autres. Exercer une emprise sur eux, en détenant des infos compromettantes sur certains, ça t'excite. Tu aimes le contrôle et le pouvoir bien plus que tu l'imagines.

Il se trouvait à quelques centimètres de mon visage, et je pouvais lire le pouvoir qu'il avait sur moi dans ses yeux.

- Mais en l'occurrence, c'est ce contrôle absolu qui te joue des tours en ce moment. Tu ne révéleras jamais ce qui s'est passé. Déjà, parce que tu as attendu trop longtemps, et parce que tu sais très bien les conséquences que ça aura si tu divulgues tout maintenant : mon renvoi, mais aussi des messes basses dans les couloirs, des humiliations, une rupture... Je ne pense pas que tu aies envie d'avoir ça sur la conscience, si ? lâcha-t-il avec une fausse moue boudeuse.

- ... Tu me dégoûtes, finis-je par dire après un long silence.

- Je sais. Maintenant, dehors.

En sortant de la salle, je n'arrivais même plus à respirer. Mes nerfs lâchaient, et mes mains n'en finissaient plus de trembler. Benoît avait raison : jamais je ne dirai quoi que ce soit là-dessus ; j'ai trop tardé, tout ça parce que ma fierté et mon orgueil m'en empêchait. Vous voyez l'image de la proie que je vous ai renvoyé au tout début ? Là, j'étais acculé, pris à mon propre piège, coincé dans une toile dont je ne voyais aucun moyen de me libérer. Je devais me ressaisir, mais j'avais du mal, je ne voyais aucune porte de sortie sans que ça cause des dommages collatéraux.

Il fallait que je me rende à l'évidence. Le seul moyen que j'avais de couper l'herbe sous le pied de Benoît, et d'avoir de l'avance sur lui... C'était de dire la vérité.

Je n'avais plus le choix.


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